Le scapulaire de Saint-Épiphane
Georgette Renaud et Daniel Projean du collectif d’auteurs La Porte ouverte sur les mots présentent une autre légende de la région. Pour ce mois de mai 2022, leur choix s’est arrêté sur : « Le scapulaire de Saint Épiphane », un extrait du livre « Histoires, chansons & légendes » de l’auteur Jean-Pierre Pineau, aux éditions Narval.
Comme le mentionne Jean-Pierre Pineau, « Si l’histoire est la version officielle ou la mémoire collective d’une nation, la tradition orale est le testament des gens qui l’ont forgée. » Voici son conte.
« Une veuve vivait sur la terre de son défunt mari avec, pour toute compagnie, sa seule et unique fille, Mathilde, âgée de 15 ans. La vie n’était pas facile pour les habitants de cette maisonnette. La ferme rapportait peu et la santé de l’adolescente était, depuis toujours, très précaire. Les deux femmes avaient, jusqu’à présent, trouvé réconfort dans la prière. Dans les alentours, on les affublait du sobriquet de « Saintes femmes », non par dérision, mais surtout par compassion.
L’année qui s’achevait avait vu Mathilde se remettre tant bien que mal d’une grave maladie qui l’avait laissée très affaiblie. Charitables, quelques villageois leur avaient offert l’hébergement pour l’hiver qui s’installait doucement dans le Bas-Saint-Laurent. La mère, inquiète pour sa fille, aurait voulu accepter, mais cette dernière avait souhaité demeurer dans la maison qu’elle disait imprégnée de la présence paternelle. La demoiselle chérissait tout particulièrement un objet de dévotion, un cadeau de son père, béni par l’Archevêque en personne, et lui attribuait en grande partie le mérite de sa guérison récente.
L’objet, un scapulaire, était orné des effigies de la Vierge et de Sainte-Mathilde, sa patronne. Certaine que la piété lui avait sauvé la vie, elle entretenait une fervente dévotion envers l’amulette qui ne la quittait pour ainsi dire jamais. Mathilde songeait, de plus, à entrer au couvent, disant à qui voulait l’entendre ressentir « l’Appel ».
Cet hiver-là fut excessivement dur et froid. Les deux femmes, seules dans leur maisonnette mal chauffée, en souffrirent cruellement et, malheureusement, la santé de Mathilde semblait plus chancelante que jamais. Le retour du printemps, loin d’arranger les choses, la vit contracter une fièvre maligne qui menaçait de l’emporter.
Son état empira à tel point que la mère, au comble de l’inquiétude décida d’appeler à l’aide un médecin, malgré l’avis de sa fille qui, aveuglément, s’en remettait entièrement aux vertus du scapulaire. Le praticien vint examiner la malade et la trouva fort mal en point. En fait, selon l’évaluation qu’il en fit, Mathilde n’avait survécu jusque-là que par miracle. Aussi recommanda-t-il que, pour faire baisser la fièvre, l’on frictionnât le corps. Pour ce faire, il fallut dévêtir momentanément la jeune fille et l’on enleva le scapulaire en même temps que la chemise.
Sur le coup, Mathilde se raidit, frissonna une toute dernière fois et plongea dans la mort. Ce dénouement soudain laissa le médecin perplexe, car le traitement prescrit n’était pas si radical que cela puisse avoir d’aussi funestes conséquences. Toutefois, le corps fut mis en bière et le service chanté à l’église du village. Les voisins vinrent, compatissants, consoler la brave femme à nouveau endeuillée et lui offrirent de l’héberger, ce qu’elle accepta avec soulagement. Elle quitta donc la maisonnette qui demeurerait dorénavant inoccupée. Dans les mois qui suivirent, des gens qui passaient par là remarquèrent une étrange lueur qui semblait émaner de la cabane abandonnée, lorsque la nuit tombait.
Intrigués et craintifs, plusieurs furent témoins du phénomène, mais personne n’osa s’approcher de l’endroit. La rumeur se répandit rapidement à savoir que le bâtiment était désormais hanté et d’aucuns racontaient que les esprits de Mathilde et de son père y avaient élu domicile. Tout ce manège dura un certain temps jusqu’à ce qu’un jeune homme, un ami d’enfance de Mathilde, se décide à y regarder de plus près. Il se rendit aux abords de la ferme abandonnée où se dressait l’ancienne résidence. À la brunante, l’étrange lueur se manifesta, paraissant venir de l’intérieur comme à l’habitude.
Nullement décontenancé, le garçon s’avança vers le bâtiment et remarqua que la luminosité s’amenuisait à mesure qu’il s’en rapprochait. Lorsqu’il fut suffisamment près pour risquer un oeil à la fenêtre, il constata que le rayonnement émanait d’une chose posée sur une petite table. Rassuré, il pénétra sans peine et atteignit l’objet mystérieux qui, maintenant, brillait doucement. Il reconnut immédiatement le scapulaire de Mathilde qui gisait là, oublié.
Ainsi, tout s’expliquait : c’était son amie qui, d’outre-tombe, réclamait son précieux bien. L’amulette fut placée dans une boîte scellée et mise en terre à même la sépulture de la jeune fille. Cela eut sûrement pour effet de l’apaiser, car les manifestations cessèrent et tout redevint calme. Cependant, l’événement, par son caractère surnaturel, frappa l’imagination des gens et fut un sujet de conversation des années durant, dans la paroisse de Saint-Épiphane. »