La magie des larmes et leurs bienfaits
Le mois de janvier appelle au bilan de l’année précédente et aux visions pour la nouvelle année. Je dois admettre que 2022 fut une année où j’ai laissé couler beaucoup de larmes sur mes joues. Aussi, j’ai eu l’occasion ce mois-ci de réfléchir aux bienfaits de pleurer, à la préciosité des larmes et de la tristesse.
Mon amie Laetitia Tonen, accompagnatrice en chemin de vie à Chemins de traverse m’a fait une commande de beaux mouchoirs anciens, brodés à la main, pour offrir aux participantes de ses ateliers. Elle m’a dit : « C’est pour qu’elles puissent y recueillir leurs précieuses larmes. » J’ai trouvé ça tellement beau! Quand Laetitia est venue chercher sa commande chez moi, nous avons échanger à ce propos autour d’une tisane.
Un espace de vérité et de connexion
Pour Laetitia, le fait de pleurer commence par le lien à soi-même, à être connecté. « Quand j’offre les mouchoirs aux femmes en début d’atelier, certaines sont un peu surprises, alors que pour d’autres c’est un grand soulagement et généralement dans le premier cercle de parole, la moitié des femmes ont déjà pleuré. »
« Souvent je pose en début de cercle de parole, qu’on n’est pas là pour juger les émotions et qu’on peut se donner la liberté et l‘espace de les vivre quand elles viennent. Mais quand j’offre un mouchoir, ça valide, ça ouvre la porte encore plus grande, pas juste pour que ça paraisse bien ou pour déculpabiliser les femmes de pleurer et de dire que c’est correct, mais c’est plutôt pour dire que les larmes et le fait de pleurer, c’est précieux! »
Les larmes font partie de la vie de Laetitia depuis toujours et elle trouve qu’on a parfois un rapport pénible avec les larmes. Petite, on la trouvait sensible pour ne pas dire pleurnicharde et ce fut un long chemin pour elle de comprendre sa sensibilité et de se sentir légitime dans le fait de pleurer.
Comprendre qu’on peut pleurer de tristesse, de joie, de rage, mais que peu importe ce qu’on pleure, c’est un moment privilégié de connexion à soi. Puis un jour lors d’un de ses ateliers, une femme a dit : « Je le sais que je pleure beaucoup, mais j’ai arrêté de m’excuser de pleurer, parce que je sais que quand je pleure c’est vrai. » Comme si quand on pleure on touche à quelque chose de tellement vrai qui ne peut souvent pas se traduire en mots ou autrement.
La médecine des larmes
Pleurer est aussi un code de communication qui envoie un signal ou un indicateur aux autres au sujet des émotions qui nous traversent. Et je dirais que c’est un code viscéral, car comme témoin, voir quelqu’un pleurer génère en nous toute sorte de réactions, comme notamment de l’empathie et de la compassion ou encore un malaise.
Laetitia racontait que dans certains pays et certaines cultures, il y a même des pleureuses pour manifester, comme une prière ou même une dévotion à se laisser traverser par ces émotions qui nous charrient, comme une transcendance, comme un acte magique qui transforme quelque chose en nous et autour de nous, comme une décharge.
Et c’est là que réside la médecine des larmes, dans la décharge. Car « non seulement on se sent bien après avoir pleuré, mais on se sent aussi fatigué. C’est la preuve qui se passe quelque chose. » J’aime dire que les pleurs subliment le stress et les traumas. Les chagrins qu’on pleure, on s’en libère plus facilement.
En contrepartie, on dit que « ce qui ne s’exprime pas s’imprime ». J’ai entendu souvent cette phrase en 2022. Comme si les chagrins qu’on ne pleure pas se cristallisent dans notre corps et se transforment en maux physiques ou mentaux… En amertume par exemple… Je soupçonne même que le fait que, dans notre culture, les hommes en particulier ne soient pas autorisés ou encouragés à pleurer, puisse faire en sorte que certains accumulent les chagrins et les frustrations et que ça donne lieu à la masculinité toxique ou à des excès d’agressivité et de violence que l’on connait malheureusement.
Quant aux femmes, elles sont traversées de façon cyclique à cause des hormones par des changements d’humeurs et d’émotions dont elles n’ont d’autre choix que s’y soumettre et d’apprendre à apprivoiser leur vulnérabilité.
Je soupçonne aussi qu’en apprenant à être vulnérable, on devient plus empathique envers les autres.
Laetitia racontait qu’un peuple d’Afrique d’un pays colonisé disait : « Vous les blancs occidentaux, vous êtes en dettes de larmes. » « Ça présuppose, le manque de sensibilité et d’empathie, comme par exemple de dire à quelqu’un : « Ne pleure pas…! » en s’empressant de donner des mouchoirs pour essuyer les larmes, et un peu pour arrêter le flot et du coup, l’élan de l’émotion. Et ça dénote d’un côté toute la souffrance, mais de l’autre côté le manque de conscience. » Et si Laetitia offre des mouchoirs (lavables et non jetables) pour recueillir les larmes, ce n’est pas pour étouffer les pleurs, mais bien pour les accueillir.
La force du lien
« En Europe et même ici autrefois, le mouchoir faisait partie de la vie. On l’offrait dans le trousseau, on s’en servait pour consoler, pour prendre soin des larmes comme des blessures. Ces mouchoirs étaient précieux, ils étaient brodés à la main, parfois avec les initiales de la personne, souvent offerts lors d’un rite de passage.
Par exemple, quand la jeune fille quittait sa famille et partait dans la famille de son compagnon, c’est un peu de sa mère et de ses sœurs qu’elle amenait avec elle dans cet objet, comme un réconfort et même un support à porter dans sa poche. En plus d’être beaux ces mouchoirs, il y a toute une intention de soin et de bienveillance qu’ils portent en eux, transmise par celles qui les ont fabriqués et offerts. »
Laetitia fait le lien entre ces mouchoirs et le fait qu’on se sent supporté par la sororité dans les cercles de femmes à la yourte où on se sent solidaire, touchée ou émue et de comment on se sent moins seule, même hors du cercle, le jour où on vit un écueil.
Je comprends très bien ce qu’elle veut dire par là, parce que cet automne, je me suis fait un autel (altar) chez moi pour me rendre compte que ce qui le compose, ce sont beaucoup des objets que d’autres femmes ont fabriqués ou m’ont offert en cadeau et la raison de ça c’est que c’est comme si je me sentais supporté par ces femmes à travers ces objets au quotidien, comme si je sentais dans mon autel, la solidarité, la sororité de ces femmes et c’est très supportant et empuissançant. « Et tout ça nous met en lien. En lien au territoire, en lien les unes aux autres, on reconnait les matériaux, les odeurs font partis de notre patrimoine… » On se reconnait et on est reconnue.
La beauté dans l’adversité
Pour revenir aux pleurs, Laetitia m’a aussi raconté une belle histoire. À l’adolescence, elle a vécu le grand chagrin de perdre sa sœur dans un accident de voiture. Elle a dit que d’un côté ce chagrin l’a complètement brisée et dépouillée.
Mais, cette sensation de dépouillement ainsi que des montagnes russes d’émotions j’imagine, ont eu pour effet chez elle de faire émerger une espèce de magnification de la réalité, de magnifier son expérience de vivre de façon extra-sensorielle. De sentir l’air, de percevoir les couleurs d’une façon presque surréelle, et que finalement, le dépouillement avait préservé chez elle l’essentiel, sa flamme, son essence et la faisait ressurgir de façon très alignée. « Dans cet endroit-là, y’a une grande force l’alignement de qui tu es et y’a une grande force de tendresse et d’amour brut. » Elle m’a référé à un très beau texte de Nick Cave qui parle de comment la perte de son fils adolescent l’a transformé et amené à vivre une vie plus magnifiée et plus alignée, malgré la douleur.
La vision
Alors comme vision pour 2023, je nous souhaite de s’autoriser à vivre la tristesse si elle se présente, car en plus de la vérité et de la connexion, elle nous offre beaucoup de tendresse. En fait je nous souhaite d’apprendre à se laisser traverser par nos émotions. Je nous souhaite aussi de vivre du bonheur vrai, mais surtout d’avoir l’empathie et de la bienveillance les uns envers les autres.
Ça fait maintenant presqu’une dizaine d’années que je fréquente la yourte de Laetitia de Chemins de traverse. Laetitia y offre des ateliers, des rituels et des cercles de femmes qui sont des espaces d’accueil et de transformation bien établis et guidés par Laetitia, remplis de bienveillance et de sororité, d’affection et de sécurité.
Des espaces très porteurs où l’on peut se déposer avec ce que l’on porte dans toute notre authenticité. Elle offre aussi de l’accompagnement individuel et de la thérapie par les chevaux. Et il parait que dès ce printemps, une toute nouvelle offre de cercle sera offerte pour les hommes. Restez à l’affut!
Merci Laetitia pour ce grand privilège.
J’ai une grande collection de mouchoirs anciens. Après avoir écrit cette chronique, je me suis rappelé avoir fait un projet artistique avec des mouchoirs, le projet Âm(i)es, où je faisait le portrait abstrait de l’âme de mes consœurs de classe. Cette conversation avec Laetitia, vient appotrer une toute nouvelle dimension à ce projet.
Charline Giffard