Les marchés boursiers propulsés par la frénésie de l’intelligence artificielle
Les actions américaines et mondiales ont fait bonne figure durant le premier semestre de 2023, bien au-delà des prévisions de certains grands analystes de Wall Street. Début juin, l’indice boursier américain S&P 500 est techniquement entré dans un marché haussier, en hausse de plus de 20 % par rapport à son creux de l’année dernière. Malgré plusieurs obstacles, comme des conditions monétaires qui se resserrent, l’instabilité du système bancaire régional des États-Unis et des prévisions à la baisse des bénéfices, comment est-ce possible? L’expansion des multiples boursiers et l’intelligence artificielle pourraient y être pour quelque chose. Explications.
L’année 2023 a démarré sur les chapeaux de roues avec un excellent mois de janvier pour les marchés. C’est ce qui a pavé la voie à des données économiques étonnamment plus fortes que ce que les prévisionnistes avaient imaginé. L’économie mondiale a fait preuve d’une résilience surprenante en 2023. Plusieurs facteurs ont contribué à cette vigueur, notamment la robustesse des dépenses de consommation, la poursuite de la reprise post-COVID-19 et la force du marché de l’emploi.
La vigueur du marché de l’emploi, caractérisée par un faible taux de chômage, a permis au consommateur de conserver sa capacité de dépenser pour des biens et des services et de maintenir sa propension à consommer. La hausse des salaires et l’utilisation de l’épargne accumulée en pleine COVID-19 ont facilité la vie des ménages face à l’inflation.
La bonne tenue de l’économie n’est pas uniquement une histoire nord-américaine. En Europe, l’économie a rebondi après une année 2022 difficile, et elle a été soutenue par la baisse des prix de l’énergie en raison d’un hiver plus doux qu’anticipé.
En Chine, la réouverture de l’économie et la fin de la politique zéro COVID-19 ont également eu leur mot à dire sur la croissance économique mondiale. Toutefois, cette croissance devrait ralentir dans les prochains mois, car nous serons en mesure de sentir la pleine vigueur des hausses des taux d’intérêt. Regardons maintenant ce qui contribue à propulser les marchés boursiers à la hausse.
L’expansion des multiples d’évaluation
En finance, le modèle de Grinold-Kroner est utilisé pour calculer le rendement espéré du marché boursier. Le rendement espéré s’explique principalement par la variation des bénéfices ainsi que par la variation du ratio cours/bénéfice.
En d’autres mots, un marché haussier vient soit d’une hausse des bénéfices des entreprises, soit d’une hausse du multiple d’évaluation des actions, soit d’un mélange des deux. Actuellement, les bénéfices des entreprises sont en décroissance et ceux qui sont projetés le sont également. Ainsi, la totalité du rendement s’explique par la hausse des multiples d’évaluation, soit le ratio cours/bénéfice. La hausse des cours boursiers sans l’accroissement des bénéfices augmente le ratio cours/bénéfice, le cours étant divisé par le bénéfice.
Lorsque la frénésie s’installe dans les marchés, le dynamisme est si fort que les évaluations boursières n’ont plus d’importance. C’est exactement ce qui se passe avec l’intelligence artificielle, ces deux mots qui font propulser les marchés financiers. Il ne faut surtout pas sous-estimer les répercussions de cette frénésie, et ce, même si les fondamentaux sont en train de crier qu’elle n’est pas justifiée. Ce que l’on voit en ce moment n’est en aucun cas basé sur les évaluations boursières.
Il y a deux faces au marché boursier. La première est le côté rationnel qui s’appuie sur les évaluations boursières. Il y a une autre face qui, elle, est basée sur les comportements des individus et la psychologie des investisseurs. Nous y sommes actuellement. Tout le monde sait que c’est incompatible avec les faits, mais ça continue. Bienvenue dans un marché basé sur la psychologie!
L’intelligence artificielle, ce qui nourrit les marchés boursiers
Qu’est-ce que nourrit les marchés boursiers? Deux mots : intelligence artificielle. Il ne fait aucun doute que l’intelligence artificielle aidera à la croissance économique, tant par l’augmentation de la productivité que par la baisse des prix. C’est une technologie « transformative ». Le narratif dans les marchés est puissant. Lors de la conférence téléphonique où étaient livrés leurs résultats financiers du premier trimestre de 2023, environ 20 % des compagnies américaines ayant reporté leurs résultats ont mentionné les deux mots magiques.
Lors des 20 premières minutes de la conférence téléphonique d’Adobe inc. (ADBE), les mots « intelligence artificielle » ont été prononcés plus d’une fois par minute. Certains diront même que c’est irresponsable pour un chef d’entreprise de ne pas mentionner l’intelligence artificielle dans ces circonstances. Une chose est certaine, lors du dévoilement des résultats financiers du deuxième trimestre de 2023, toutes les entreprises vont trouver une façon de parler de l’intelligence artificielle.
Le chef de la direction d’une entreprise souhaite voir le cours de son action monter? C’est simple! Il doit simplement prononcer les mots « intelligence artificielle » le plus souvent possible dans son discours. Ainsi, les sociétés ne cessent d’affirmer qu’elles font ceci et cela en lien avec l’intelligence artificielle. Pourtant, c’est ce qu’elles font depuis des années avec les analyses prédictives.
Prenons l’exemple de Tesla (TSLA), dont le cours du titre était en hausse de plus de 100 % à la mi-juin, notamment parce que les investisseurs estiment que l’entreprise possède beaucoup de données et qu’elle devrait être en mesure de prendre avantage de l’intelligence artificielle générative. Depuis 9 ans, Tesla utilise l’intelligence artificielle générative pour créer des véhicules à conduite autonome. Voilà ce qu’est l’intelligence artificielle générative : produire en temps réel la réaction qu’un véhicule devrait avoir selon les conditions qui lui sont présentées. Toutes les données sont incorporées dans un algorithme pour prendre une décision : accélérer, freiner, tourner, etc.
Qui plus est, les constructeurs Mercedes et Hyundai sont déjà nettement plus avancés que Tesla en ce qui a trait à la conduite autonome. Ainsi, l’idée de vouloir acheter Tesla en bourse à cause de l’intelligence artificielle est difficile à comprendre : l’entreprise utilise l’intelligence artificielle depuis 9 ans et elle est moins avancée que certains de ses concurrents en matière de conduite autonome. Sans parler de la riche évaluation boursière de Tesla.
Si Nvidia Corporation (NVDA), l’entreprise spécialisée dans la conception de processeurs, de puces et de cartes graphiques, avait déclaré des résultats alignés sur les attentes ou en deçà des attentes des analystes à la fin mai de 2023, cette frénésie des marchés par rapport à l’intelligence artificielle n’aurait pas lieu. Certes, il y aurait des discussions et une certaine curiosité par rapport à ChatGPT d’OpenAI, sans nécessairement être ce que l’on voit actuellement. Ça fait plus de 15 ans que les entreprises font des analyses prédictives, qu’elles nomment désormais « intelligence artificielle », dans le but de voir une hausse du cours de leur action.
Lors de la bulle technologique de 1998-2000, le narratif était uniquement lié à la technologie. Tout le monde croyait à Internet! Les Microsoft (MSFT), Intel (INTC), Cisco (CSCO) et Dell Technologies (DELL) de ce monde, des compagnies avec de vrais revenus, avaient toutes atteint des sommets boursiers inégalés. Aujourd’hui, tout le monde croit à l’intelligence artificielle! Ce sont des entreprises avec de vrais revenus, qui profitent d’une frénésie boursière.
En 2000, tout ce qui importait était la technologie, tout le reste était délaissé. En capital de risque, soit le domaine du placement privé considéré comme le plus risqué, l’argent ne servait qu’à financer les projets technologiques. Aujourd’hui, le capital de risque ne finance rien d’autre que les projets d’intelligence artificielle. À la suite de cet engouement de la bulle technologique en 2000, les compagnies technologiques non profitables sont entrées massivement sur les marchés boursiers publics par un premier appel public à l’épargne (PAPE). Plusieurs de ces compagnies n’avaient même pas encore de bureau! Nous n’avons pas encore vu cela aujourd’hui.
Le plus grand ingrédient dont vous avez besoin pour une bulle est une technologie transformatrice à propos de laquelle tout le monde est d’accord. Cela dit, restons prudents face à cette mini bulle de l’intelligence artificielle.
La concentration du rendement
Depuis le début de l’année, la quasi-totalité du rendement du S&P 500, l’indice boursier américain, s’explique par ces 7 titres : Meta Platforms (META), Amazon (AMZN), Nvidia (NVDA), Alphabet (GOOGL), Tesla (TSLA), Microsoft (MSFT) et Apple (AAPL). Puisque l’indice S&P 500 est composé de 504 entreprises, une telle concentration des rendements dans seulement 7 titres peut constituer un risque pour cet indice, car la bonne vigueur de l’indice cache la piètre performance de la plupart des constituants. Lorsque cela se produit, on dit que le marché n’a pas de profondeur. Si la tendance change pour les 7 titres qui ont propulsé le marché boursier depuis le début de l’année, ce dernier pourrait être négativement affecté, car ces 7 titres représentent un poids important dans l’indice de référence S&P 500. Inversement, une progression des 497 autres titres pourrait donner un certain élan au marché américain.
Comment positionner son portefeuille dans le contexte actuel
Nous vous recommandons de ne pas courir après la performance, sans toutefois parier contre les marchés boursiers. Suivre son plan d’investissement à long terme, prendre des profits sur certains titres et rééquilibrer le portefeuille près des cibles d’allocation sont des stratégies possibles. Tactiquement, une sous-pondération en actions peut être justifiée, et ce, au profit des liquidités et des obligations, dont les rendements par rapport aux risques sont attrayants. D’ailleurs, la hausse des taux d’intérêt est une belle occasion de revoir sa planification financière avec son conseiller.
Inversement, il n’est surtout pas recommandé de liquider complètement son portefeuille d’actions à la suite de ce bon début d’année. Sous-estimer l’ampleur de la frénésie de l’intelligence artificielle actuelle ne serait pas avisé, les marchés boursiers sont à la fois rationnels et irrationnels. En effet, la rationalité boursière est factuelle et cohérente, alors que son aspect irrationnel est nourri par le fait que les principaux participants aux marchés financiers sont des humains guidés par des biais psychologiques et comportementaux importants. À preuve, le marché boursier est en hausse significative malgré les resserrements quantitatifs actuels.
Nous sommes profondément convaincus de la pertinence d’une gestion de portefeuille conservatrice axée sur la sélection de titres de grande qualité achetés à prix raisonnables. Puisque rien de fondamental ne semble justifier l’ascension fulgurante des marchés à laquelle on assiste, participer de manière conservatrice et sécuritaire à cette frénésie boursière est probablement la bonne chose à faire.
Pier-Luc Perreault, M. Sc.
Conseiller adjoint en gestion de patrimoine, Équipe René Gagnon
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