Le pouvoir de Stéphanie Pelletier
Rencontre avec l'autrice et directrice artistique de l’ExilJ’ai rencontré l’autrice Stéphanie Pelletier chez moi pour discuter de divers projets. Dans son univers littéraire, on retrouve beaucoup l’archétype de la sorcière ou plusieurs éléments s’y référant. Démonstration de son pouvoir.
J’en ai donc profité pour lui demander si je pouvais l’interviewer pour ma chronique. Elle a accepté, ce fut une conversation très intéressante.
La potion magique
On pourrait dire que Stéphanie, comme Obélix, est tombée dans la potion magique quand elle était petite. Par contre, cela n’aura pas eu le même effet magique sur elle… Quoique…
Stéphanie a grandi entourée de femmes qui s’intéressaient à l’ésotérisme, au tirage de cartes, au tarot et même aux contacts avec l’au-delà.
Après s’être elle-même intéressée au tarot et à l’interprétation des rêves, un jour elle a pris une distance avec tout cet univers, elle est devenue plus pragmatique et s’en tenait aux faits avec un espace pour le doute. Elle dit même que sa religion, c’est le doute et par là elle veut dire qu’il est bon de se questionner sur ses certitudes sans arrêt.
Cela ne l’a pas empêché de s’inspirer de cet univers pour écrire Dagaz, son premier roman.
Par contre elle ne renie pas tout. Par exemple, sa mère a un don de guérison. Et, soutient-elle, ça marche et ça a toujours fonctionner avec elle, même pour des cas assez majeures. Même si elle ne renie pas tout de cet univers, elle avait besoin de se faire son propre chemin mental et ses propres perceptions et croyances. « J’ai envie d’être maîtresse de ma vie et je ne veux pas que ce soit ça qui guide mes choix. C’est très dangereux de tomber dans le : « ah ben, ce guide-là m’a dit de faire ça, alors je vais le faire… »
La figure de la sorcière est revenue dans sa vie autrement, plus récemment alors qu’elle avait été invitée par l’émission Hôtel Central à faire un épisode sur les sorcières. Elle s’est donc replongée dans des lectures sur le sujet. Replongée, car Stéphanie est féministe (un féminisme inclusif tient-elle à préciser) et a fait des études féministes en littérature à l’UQAM.
Dans son parcours en études féministes la sorcière est une figure qui s’est imposée rapidement parce que c’est une figure que les femmes se sont réappropriée pour revendiquer certains aspects d’elles-mêmes qu’on leur reprochait. Donc la sorcière se trouve à être une figure émancipatrice très forte et c’est pourquoi elle apparait beaucoup dans ses écris.
« La sorcière est la rebelle par excellence. Il y a une reprise de pouvoir de quelque chose qui servait à nous diminuer, à nous contrôler, mais qui en fait montre ce qui fait peur : le pouvoir et la force des êtres. »
Le pouvoir
Penses-tu que la sorcière aujourd’hui c’est justement une femme qui est dans l’autodétermination, que son pouvoir est en elle et qu’elle ne le donne pas à l’ésotérisme, que son côté spirituel c’est son intuition, son intériorité? Est-ce plus comme ça que tu vois la sorcière ou que tu vis la sorcière?
« Dans les années 90s il y avait vraiment une quête de sens et de réponses qui menaient vers l’ésotérisme, alors que moi comment je le vois c’est plus comme une puissance et de l’empowerment (empuissancement) plutôt qu’une recherche des réponses. Alors c’est plutôt : j’en aurais des réponses moi. Je crois vraiment savoir qu’est-ce qu’on pourrait faire de bien pour changer le monde ou pour que ça aille mieux ».
Dans ce sens-là, c’est une figure qui intéresse beaucoup Stéphanie. Peu importe les gestes posés, que ce soit dans les rituels, ou autres, elle a l’impression que ce n’est pas tant dans la recherche de réponses que dans le fait de les avoir ces réponses-là et de les sentir, de les vivre et de les proposer.
« D’être assez convaincu de ce qu’il faut faire, ce qui doit être fait ou ce qui est bien et c’est surement pour ça que ça émerge présentement dans ma vie, parce que je suis à un moment de ma vie, où même si le doute est fondamental, j’ai beaucoup plus la certitude de ce que je dois faire et de ce que je veux faire, de qui je veux aider et de comment je veux le faire, et ma parole et mon art à quoi ils servent et à quoi je veux qu’ils servent et à quoi je ne veux pas qu’ils servent. Ce qui m’inspire de la sorcière, c’est que tous les aspects qui font peur d’une femme sont cristallisés dans ce personnage-là, alors s’est super le fun de les faire émerger Par exemple, vous avez peur qu’on vieillisse, on va vieillir! Vous avez peur qu’on soit libre,on va l’être! J’aime beaucoup son côté rebel. »
C’est quoi pour toi ton côté sorcière?
« Mon pouvoir est celui de prendre ce qui se passe dans le monde, de le collectionner, de le réunir pour recréer le monde dans mon travail de création, d’être capable de tisser quelque chose qui va permettre de générer du sens pour les autres, c’est la raconteuse, comme une alchimiste des histoires et du vécu. »
Comment cette figure se transpose dans ton écriture et dans ta pratique artistique?
« C’est super organique, alors c’est difficile pour moi de l’intellectualiser et de le nommer, mais j’ai l’impression que ma pratique artistique est assez engagée tout en restant proche de moi et en essayant de faire du sens pour les autres, parce qu’il faut se méfier et faire attention de ne pas toujours râler. Mais comme mon travail est de plus en plus engagé, c’est plus clair pour moi, ça va de soi que c’est lié à la figure de la sorcière. Mon engagement est pour le féminisme inclusif, les causes environnementales, la justice sociale et tout est interreliés. Si les femmes atteignent l’égalité un jour on vivra certainement dans un monde où tout le reste ira beaucoup mieux, ça va ensemble.
Mais dans ça il y a aussi l’idée du soin. Par le fait de raconter des histoires aux gens ou de raconter leur histoire ou de les aider à écrire leur histoire par des récits que j’invente, l’idée ultime c’est de prendre soin des autres. La littérature pour moi c’est un outil pour prendre soin des autres et les sorcières c’étaient des femmes qui guérissaient, mais il y a plein de façon de guérir et je pense que la fiction est un outil puissant pour guérir, j’en ai eu des preuves tout au long de ma carrière et je continue d’en avoir, alors c’est certain qu’aujourd’hui dans mon travail c’est comme ça que ça s’inscrit. Et bien sûr j’aime ça en faire apparaître de temps en temps dans mes histoires des sorcières, mais il ne faut pas qu’il y en ait trop non plus. »
Partages-tu cette partie de toi avec d’autres
« Même si j’ai mis certaines limites à ce que pratiquent certaines femmes de mon entourage, j’aime bien boire un bon vin pétillant en se tirer aux cartes avec mes tantes jusqu’aux petites heures du matin, je n’ai jamais renié ça. »
Qu’est-ce que tu aurais à partager par rapport à la sorcière, une astuce, un truc, une référence?
« Je vais dire : faire du feu. C’est drôle, mon dernier recueil s’appelle « Ce qui brûle bien ». Faire des feux dehors, que ce soit pour réunir des gens autour ou juste toute seule, ça fait du bien. J’ai redécouvert ça dernièrement, alors que tout le monde était écœuré de la pandémie et du confinement on se réunissait au chalet de mes parents, on faisait des feux en plein hiver et ça nous faisait du bien. Alors faites donc des petits feux autant dans votre cœur que dehors, ça nous prend des petits feux.
… Ah! Et aussi… Danser! »
Le feu
Le feu, il est bien allumé en elle. Le fait d’avoir côtoyer l’ésotérisme en grandissant l’a peut-être refroidi sur ces pratiques, mais ça a certainement contribué à allumer un autre feu, celui de son propre pouvoir, celui de son authenticité et de sa lucidité, celui de sa soif de justice et de soin du vivant, celui de sa créativité artistique.
J’ai adoré cet entretient! Stéphanie m’a amenée complètement ailleurs d’où je pensais et j’en suis fort aise. J’ai beaucoup aimé écouter les perspectives qu’elle avait à partager.
Stéphanie Pelletier est autrice et directrice artistique de l’Exil (spectacles littéraires). Sa bibliographie de inclue notamment :
- Le recueil de nouvelles « Quand les guêpes se taisent », ayant remporté le Prix littéraire du Gouverneur général, publié en 2012 aux Éditions Leméac
- Le roman « Dagaz », publié en 2014 aux Éditions Leméac
- Et le recueil de contes et textes courts 2022 « Ce qui brûle bien », aux Éditions Planète Rebelle
Stéphanie est aussi une artiste de la parole et de la scène et en 2022 elle a fait la lecture publique de « Féminalcès » au Théâtre du Bic.
Charline Giffard