Bay du Nord : nous avons le devoir de faire mieux
Le 6 avril 2022 restera longtemps gravé dans ma mémoire.
Après des semaines de représentations et de pressions pour que le gouvernement fédéral rejette le projet pétrolier Bay du Nord, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a annoncé qu’il approuvait le projet. Il l’a fait en fin de journée, tout juste après la fermeture du marché de la Bourse de Toronto, via une communication gouvernementale virtuelle, espérant que personne n’y porte attention…alors qu’il savait bien que la nouvelle arriverait comme une décharge électrique pour bien des gens.
Pour l’environnementaliste que je suis, il m’a été très difficile de ne pas tomber dans un désagréable cynisme. Le cynisme, c’est pourtant ce qui m’a poussé à me lancer en politique. Je voulais l’enrayer, cet infatigable cynisme qui fait en sorte que si peu de gens s’intéressent à la politique, alors que nous sommes si peu qui voulons continuer de faire confiance aux décideurs de peur d’être déçu-e, décision après décision.
L’arrivée de Steven Guilbeault au ministère de l’Environnement, quelques mois plus tôt était pourtant une bonne nouvelle. Enfin, on se permettait de rêver un peu. On se permettait surtout de croire qu’un militant écologique bien connu, qui a fait beaucoup pour éveiller la conscience environnementale de milliers de Québécois-e-s, ferait mieux que ses prédécesseurs. Qu’il prendrait des décisions difficiles, non pas au profit de son parti politique, mais au profit de la planète. Parce qu’il était le mieux placé pour savoir ce dont elle a besoin, cette planète.
Puis, il a dit oui à Bay du Nord.
Un projet d’exploitation pétrolière extracôtier au large de Terre-Neuve qui permettra d’extraire, à compter de 2028, de 300 millions à un milliard de barils de pétrole sur 30 ans. Cela représente l’équivalent de sept ans de consommation de pétrole au Québec. Selon l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, le projet « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants lorsque les mesures d’atténuation sont prises en compte1 ». Toutefois, le projet pourrait générer 116 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES)2 – voire plus – selon la quantité de pétrole qui y sera pompée. C’est énorme. C’est trop, considérant que ce gouvernement vient tout juste de s’engager à diminuer ses émissions de GES de 40 à 45% d’ici 2030.
Comment ne pas être cynique alors que quelques jours avant d’avoir rendu sa décision, le ministre dévoilait son Plan de réduction des émissions pour 2030? Il promettait de faire mieux et il vantait même la proactivité de son gouvernement. Comment ne pas être cynique alors que quelques jours à peine avant que l’aval soit donné au projet, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dévoilait le dernier volet de son sixième rapport. Celui-ci était sans équivoque : il n’y a plus de place pour l’expansion des énergies fossiles, point final. Le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait même déclaré : « Les militants du climat sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux, alors que les véritables dangereux radicaux, ce sont les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles […] Investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles est, moralement et économiquement, une folie 3».
Une folie.
Mais rappelez-vous! Selon le ministre et son Agence, le projet « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs». Si l’on met de côté l’augmentation des GES, que fait-on des poissons et de leur habitat, des plantes marines, des mammifères marins, des tortues de mer, des oiseaux migrateurs, des espèces en péril? Que fait-on des effets du projet sur toutes ces composantes? Que fait-on de l’interférence avec la pêche commerciale, la pêche autochtone et la pêche étrangère? Que fait-on des risques de déversements de carburant diesel, de pétrole brut et de boues de forage ainsi que des éruptions sous-marines qui pourraient se produire pendant les phases de forage et les activités de production? Laissez-moi vous dire qu’ils entraîneraient certainement des effets négatifs sur l’environnement.
Vous vous souvenez de l’épineux dossier du projet pétrolier Old Harry, qui a fait les manchettes il y a environ 10 ans? Il s’agissait d’un projet présenté par Corridor Ressources qui promettait plusieurs milliards de mètres cubes d’hydrocarbures. Or, en 2014, des recherches menées par l’océanographe de l’UQAR, Daniel Bourgeault, ont démontré que tout l’est du golfe du Saint-Laurent serait menacé s’il devait y avoir une marée noire issue d’un incident au gisement de Old Harry4. Est-ce la même chose pour le gisement de Bay du Nord? Ça pourrait l’être. Notre Saint-Laurent pourrait être affecté par une activité pétrolière qui a lieu à des centaines de kilomètres. Je lisais récemment la biographie de Barack Obama et j’avoue avoir eu quelques frissons lorsqu’il revient sur la catastrophe de Deepwater Horizon, qui est probablement à ce jour le plus grand désastre écologique des États-Unis. En 2010, l’explosion de la plate-forme de forage pétrolier a répandu près de 5 millions de barils de pétrole, soit 780 millions de litres dans le golfe du Mexique. Une catastrophe sans précédent.
Aux vues et aux sus de tous les avis scientifiques du monde entier, sans un changement radical de paradigme environnemental, nous fonçons droit vers un mur. Cela devrait être une raison suffisante de nous pousser à vouloir faire mieux. Cela devrait être une raison suffisante pour que les ministres de l’Environnement de ce monde prennent les bonnes décisions. Nous avons le devoir d’imaginer et surtout de mettre en œuvre un monde où la jeunesse a tout ce qu’il lui faut pour espérer vivre dans un monde sain. Nous avons le devoir de nous tourner vers des solutions concrètes et propres pour le bien de notre environnement. Bien sûr, tout ne se fait pas du jour au lendemain. Il est évident que nous devrons passer par une période de transition afin de mener ce projet collectif à bon port. Il serait naïf de croire le contraire. Toutefois, une période de transition se doit de commencer tôt ou tard. Si on la reporte constamment en prétextant que nous ne sommes pas prêts, nous condamnons les futures générations à vivre avec des décisions qui auraient eu besoin de plus de réflexion. Le projet Bay du Nord aurait certainement eu besoin de davantage de réflexion de la part du gouvernement libéral.
Malgré le cynisme et les mauvaises décisions, il faut continuer d’avancer, continuer de militer et de mettre de la pression sur les décideurs et c’est ce que je ferai parce que je rêve d’un Québec vert. Je rêve d’un Québec où l’écologie rime avec l’économie. Je rêve d’un Québec qui sera maître de ses décisions environnementales sans qu’un Canada qui baignera toujours dans la folie pétrolière l’empêche d’avancer. Je rêve que tout ça devienne réalité.
Et je sais que je ne suis pas la seule.
Kristina Michaud
Députée d’Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia
Porte-parole du Bloc Québécois en matière de Changements climatiques
Références :
1-« Déclaration de décision Émise aux termes de l’article 54 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), Agence d’évaluation d’impact du Canada, mise à jour le 2 mai 2022 : https://iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/document/143675
2-«Bay du Nord devrait générer des dizaines de millions de tonnes de GES, Le Devoir, 9 avril 2022 : https://www.ledevoir.com/environnement/697488/environnement-bay-du-nord-devrait-generer-des-dizaines-de-millions-de-tonnes-de-ges
3-En référence à un message Twitter diffusé sur le compte officiel du Secrétaire-général des Nations unies, 5 avril 2022 : https://twitter.com/antonioguterres/status/1511294073474367488
4-«Un déversement à Old Harry menacerait tout l’est du golfe», 9 mai 2014 : https://www.ilesdelamadeleine.com/2014/05/un-deversement-a-old-harry-menacerait-tout-lest-du-golfe/