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La réforme du mode de scrutin : un faux débat?

(Source : Freepik)

Les résultats des dernières élections fédérales nous l’ont encore une fois démontré : notre mode de scrutin entraîne d’importants écarts entre le pourcentage de votes et le pourcentage de sièges qu’un parti obtient.1 Les libéraux ont obtenu plus de sièges que les conservateurs (157 contre 121), en dépit d’un pourcentage de vote inférieur (33,1% contre 34,4%). Justin Trudeau avait promis que l’élection de 2015 serait la dernière avec le mode de scrutin actuel, promesse brisée assez rapidement.2

C’est un peu le même cas de figure à l’échelle québécoise. François Legault a annoncé, cet automne, qu’il allait tenir sa promesse et qu’il y aura un référendum, en 2022, au moment de la prochaine élection, au sujet de l’adoption d’un nouveau mode de scrutin proportionnel mixte, avec 80 élus de circonscription (au lieu des 125 actuels) et 40 élus régionaux.3 Au regard des derniers résultats référendaires dans les autres provinces, c’est envoyer le projet à l’abattoir. En 2007, 63% de l’électorat ontarien ont voté contre le projet (avec un taux de participation anémique de 51%). Un geste qui n’est sans doute pas innocent : les gouvernements aiment le système actuel, car c’est grâce à lui qu’ils se font élire.

Au Québec, avec le mode actuel, il y a, en réalité, 125 élections simultanées. Donc, peu importe si un parti gagne par 1 ou 10 000 votes, il rafle le siège. Le parti qui gagne le plus d’élections sur les 125 forme le gouvernement, avec, dans la grande majorité des cas, moins de 50% des votes. Seulement le Parti libéral, en 1973 et 1985 (et en passant proche en 1989, à 49.95%) a réussi à atteindre ce seuil depuis 50 ans.

On voit donc que notre système encourage les gouvernements forts, en dépit d’un appui qui peut être assez faible. Les tiers partis sont peu représentés. En 1998, Mario Dumont était élu le seul député de l’ADQ, malgré un score de près de 12% à l’échelle provinciale. À cette faible représentation des tiers partis, il faut ajouter le peu de représentation de l’Est du Québec. Lors du redécoupage de la carte en 2011, la région a perdu deux circonscriptions et ne compte plus que 9 sièges pour un territoire qui comprend le Bas-St-Laurent, la Gaspésie, les Îles et la Côte-Nord. À titre de comparaison, la région de Québec en compte 11 sur la rive nord seulement et l’île de Montréal, 27.

Le modèle proposé par le gouvernement Legault permet de réduire la distorsion entre le pourcentage de votes et le pourcentage de sièges. Ceci peut sembler une bonne idée, mais, en contrepartie, cela pourrait mener à la formation de gouvernements de coalition, étant donné que les partis auraient moins de chance d’être majoritaires à l’Assemblée nationale. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Or, le processus de formation des gouvernements de coalition est souvent opaque, les négociations se faisant derrière des portes closes et pouvant s’étirer dans le temps. Dans des cas extrêmes, on a dû attendre 541 jours en Belgique (2010-11) avant de former un gouvernement et le 25 janvier, cela fera 400 jours que le pays est sans gouvernement.4

Peu importe le mode scrutin, il y aura toujours des distorsions entre la volonté populaire et la formation du gouvernement. Il y a tout lieu de penser que la représentation de l’Est du Québec, qui s’est détériorée durant les dernières années, n’ira pas en s’améliorant avec un nouveau mode de scrutin. Dans une perspective citoyenne, c’est un peu bonnet blanc, blanc bonnet : peu importe de quelle manière nous élirons les membres du parlement, ce sera encore et toujours le Premier ministre qui gouvernera et qui aura les deux mains sur le volant.5

Même si la réforme se concrétise, les choses ne vont pas changer fondamentalement et c’est pour combattre cette centralisation du pouvoir au sein du bureau du Premier ministre6, ainsi que dans les ministères à Québec et Ottawa, qu’il nous faudrait une vraie réforme. Or, le bilan du gouvernement du Québec est peu reluisant ces dernières années. Le gouvernement Couillard a aboli des instances régionales de contre-pouvoir, comme les Conférences régionales des élus (CRÉ) ou centralisé d’autres centres de décision, en fusionnant les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) en Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). Ceci ne sont que deux brefs exemples, mais la liste est longue et les dommages, difficilement réversibles. À quand une véritable réforme démocratique, qui permettrait aux citoyens et citoyennes de toutes les régions d’avoir leur mot à dire dans la gestion des services publics chez eux?


1 Il existe quelques précédents, comme l’élection du PQ en 1998. Aux États-Unis, notons que Donald Trump a remporté l’élection de 2016 avec moins de votes que sa rivale et que la même situation est arrivée en 2000, avec l’élection de George W. Bush.

2 Joanna SMITH, « Trudeau renonce à sa promesse de réformer le mode de scrutin », Le Devoir (1er février 2017), https://www.ledevoir.com/politique/canada/490596/justin-trudeau-renonce-a-sa-promesse-de-reformer-le-mode-de-scrutin (page consultée le 6 janvier 2020).

3 Martin CROTEAU, « La réforme du mode de scrutin plus complexe que prévu, selon Legault » La Presse(25 septembre 2019)https://www.lapresse.ca/actualites/politique/201909/25/01-5242745-la-reforme-du-mode-de-scrutin-plus-complexe-que-prevu-admet-legault.php (page consultée le 6 janvier 2020).

4 Philippe WALKOVIAK, « 2020 : crash-test pour la Belgique », RTBF (3 janvier 2020), https://www.rtbf.be/info/article/detail_2020-crash-test-pour-la-belgique-philippe-walkowiak?id=10399380 (page consultée le 6 janvier 2020).

5 À cela, il faut ajouter le fait que, au Canada, ce sont les membres du parti qui votent pour le chef et non l’aile parlementaire, ce qui fait qu’il a peu de compte à celle-ci, contrairement à d’autres pays où l’aile parlementaire élit son chef.

6 Un exemple, à l’échelle canadienne, de la centralisation du pouvoir : la nomination du Sénat et des juges de la Cour suprême. Tout ce beau monde est nommé par le Premier ministre. À ma connaissance, cette centralisation est inédite dans toute fédération digne de ce nom (la Russie autoritaire n’en fait pas partie). Aux États-Unis, chaque État fait élire deux sénateurs ou sénatrices et les juges sont nommés par le Président, avec un vote de confirmation par le Sénat.

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