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Le sophisme de l’appel à la science

Un outil de persuasion qui nuit au débat public

Un nouvel argument à la mode pour les politiciens, c’est de dire qu’ils écoutent la science lorsqu’ils prennent des décisions. Peu utilisé auparavant, cet argument est devenu prépondérant depuis le début de la pandémie.

Il ne faut toutefois pas se tromper : si la population souhaite en effet que les décisions du gouvernement s’appuient sur la science, l’utilisation de cet argument par les politiciens sonne un peu faux.

Un exemple : pourquoi écouter les scientifiques est-il un argument si cher aux politiciens en ce qui concerne la pandémie, mais ne l’est-il pas pour un paquet d’autres enjeux, notamment les changements climatiques, les menaces à la biodiversité ou la notion de racisme systémique ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les politiciens ont une oreille bien sélective lorsque vient le temps de s’appuyer sur la science pour prendre des décisions.

Pour bien comprendre qu’il s’agit effectivement d’une approche qui relève de la sophistique, c’est-à-dire une façon plus ou moins honnête d’argumenter ou de défendre un point de vue, posons une chose : la science n’est pas capable de prendre des décisions politiques.

Il faut être clair : ce n’est pas parce que les scientifiques ne sont pas des citoyens en mesure de prendre ces décisions. C’est plutôt que la recherche n’a pas pour rôle de le faire, n’a pas les outils pour y arriver et ce serait en fait néfaste pour le savoir que la science ait ce genre de responsabilité dans la société.

Un exemple : contrairement à l’idée reçue, la science ne se base pas sur le savoir, mais sur l’ignorance. En effet, on ne recherche pas ce que l’on sait. On recherche ce qui nous manque. En ce sens, la science ne vise pas tant à produire des connaissances qu’à investiguer des zones d’ombre.

Ce qui a pour effet, entre autres, que les connaissances sont continuellement en évolution, mais elles peuvent aussi faire des pas en arrière, en fonction des données recueillies et de l’interprétation de celles-ci par les scientifiques. Autrement dit, un scientifique peut affirmer quelque chose une journée, dire le contraire le lendemain, pour ensuite revenir sur sa première hypothèse. Ce processus est sain, malgré son apparente incohérence.

Or, sur le plan politique, un tel processus peut engendrer une perte de confiance du public. On l’a vu avec la question du port du masque l’an dernier : on dit qu’ils sont inutiles, puis on dit qu’ils sont nécessaires et obligatoires. À la lumière des recherches disponibles, ces affirmations n’avaient rien de problématique. Mais, politiquement, elles ont mis la Santé publique et le gouvernement sur la défensive.

La science ne peut pas dicter la politique puisqu’elle n’est qu’une des multiples dimensions du réel. Par exemple, le politicien doit tenir compte de l’économie, de l’appétit de la population pour certaines idées, des engagements passés qui ont un effet contraignant sur certaines décisions, de la loi et de la jurisprudence, de croyances persistantes, etc. Pourquoi ? Parce que ne pas le faire risque de lui faire prendre de mauvaises décisions, d’une part, et risque de rendre plus difficile sa réélection, d’autre part.

On le voit bien avec les mesures de santé publique. Comme nous ne sommes pas un État policier, du moins pas au sens fort, il y a une limite à imposer des restrictions : les gens ont encore le loisir, dans une certaine mesure, de ne pas les suivre. Et, disons-le, si les gens ont le choix entre leurs propres croyances, religieuses ou non, ou ce qui dit la science, je ne suis pas certain qu’on verrait une adhésion à des mesures de l’État qui s’appuierait uniquement sur la science.

Pourquoi utiliser l’argument scientifique ou plutôt le sophisme de l’appel à la science si la population préfère ses croyances à la science ? N’utilise-t-on pas un tel procédé dans un objectif de persuasion et, donc, ne devrait-on pas utiliser ce en quoi les gens croient pour les persuader de quelque chose ?

La subtilité ici tient dans le fait que dans les dernières années, possiblement en lien avec le vieillissement de la population, la santé a été mise au-devant de toutes les autres priorités dans notre société. Et la conception actuelle de la santé est liée fortement à la science et à la technoscience. C’est donc un domaine dans lequel les gens sont plus susceptibles d’écouter ce que la science a à dire.

Cependant, il y a une différence entre plus “disposés à” et “être convaincus que”. Comme la plupart d’entre nous ne sommes pas des scientifiques et que nous n’avons pas une formation scientifique suffisante, notre expérience personnelle et nos croyances risquent d’avoir plus de poids sur nos opinions.

Par exemple, même si les scientifiques affirment que les vaccins sont sécuritaires et qu’ils représentent possiblement la plus grande avancée de la médecine des derniers siècles, nous allons porter notre attention sur les rares cas de complications et devenir anxieux devant l’idée que ce pourrait être nous “la complication”. 

Dans le pire des scénarios, on parle d’une chance sur 100 000 d’avoir une thrombose suite à la prise du vaccin. Ce qui en fait hésiter plus d’un. La même complication survient chez une femme sur 2500 qui prend la pilule contraceptive. Et il n’y a pas de baby-boom ! Ou, une chance sur 20 000 de mourir d’un accident de voiture. Est-ce que les routes sont désertées ?

Les biais cognitifs et notre niveau d’éducation scientifique sont possiblement responsables de cette façon de raisonner. Et, c’est un terreau fertile pour l’utilisation de l’appel à la science dans un objectif de persuasion.

Ce que cela nous indique, c’est que nous devrions mettre de l’avant une approche citoyenne de l’éducation à la science, contrairement à l’approche utilitaire qui s’est développée dans le milieu scolaire depuis trop longtemps déjà. Cela nous indique aussi qu’il faut demeurer sceptique quand le gouvernement dit s’appuyer sur la science : ça ne peut pas et ça ne devrait pas être vrai.

Surtout quand le gouvernement n’est pas transparent quant aux données utilisées pour prendre ses décisions, qu’il n’est pas disposé à fournir aux députés les recommandations “brutes” de la santé publique, quand il utilise un protocole de test sans validité scientifique pour les niveaux de CO2 dans les écoles, qu’il a pris plus d’un an avant de reconnaître le caractère nécessaire de fournir un masque N95 au personnel soignant des zones chaudes et ainsi de suite. 

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