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L’Iran, le pétrole et nous

Files d’automobiles à une station-service, lors du choc pétrolier de 1979. Source : Dallas News
Files d’automobiles à une station-service, lors du choc pétrolier de 1979. Source : Dallas News

La tension est montée d’un cran dans le Golfe Persique, avec l’assassinat d’un général iranien par les États-Unis, le 3 janvier dernier et la fin tragique du vol PS752 le lendemain, abattu accidentellement. Bien que la situation semble s’être stabilisée depuis, l’agitation demeure grande. Plusieurs personnes ont parlé d’un éventuel conflit entre les deux pays. Certains événements ont marqué la relation entre ces États, que ce soit le coup d’État de 1953, fomenté par la Grande-Bretagne et les États-Unis pour renverser le gouvernement iranien, la révolution islamique de 1979, qui a renversé le Chah, allié des États-Unis, la prise des otages à l’ambassade américaine, la même année et la sanglante guerre Iran-Irak, qui a marqué les années 1980.1 Depuis que le président Bush fils a déclaré, lors du discours sur l’état de l’Union, en 2002, que ce pays constituait l’axe du mal, avec la Syrie et la Corée du Nord, le pays se trouve dans le collimateur. Sans compter la rivalité historique entre le principal allié des États-Unis dans la région, l’Arabie saoudite, arabe et sunnite et l’Iran, perse et chiite.

Voilà pour un aperçu, que je ne peux développer davantage, faute d’espace. Plusieurs parmi vous demanderont : pourquoi s’intéresser à ce qui se passe à l’autre bout du monde ? Au-delà des pertes humaines qui nous ont frappés, il est important de voir l’enjeu stratégique de la région du Golfe Persique en contexte. Par le détroit d’Ormuz, que l’on peut voir sur la carte, transite, chaque année, environ 20 % du pétrole brut mondial.2 C’est énorme. Un conflit dans la région, qui fermerait le détroit, perturberait l’approvisionnement mondial de pétrole. En 1979, la révolution iranienne a entraîné le deuxième choc pétrolier, qui a fait presque tripler le prix en quelques semaines, basculant le monde dans une importante récession.3 Peut-on envisager une nouvelle crise?

Source : La Croix

La bonne nouvelle, dans le contexte, est que nos économies, du moins en Occident, sont nettement moins dépendantes au pétrole qu’en 1979. L’amélioration des processus de transformation et la délocalisation importante du secteur manufacturier, très énergivore, vers l’Asie ont causé, en bonne partie, ce phénomène. On a donc exporté notre dépendance pétrolière ailleurs. De plus, le développement, très polluant, tant pour l’air que l’eau, de pétrole non conventionnel comme les sables bitumineux, en Alberta, ou le pétrole de schiste, aux États-Unis, ont rendu ce pays, en 2019, exportateur net de pétrole, une première depuis des décennies.4 On peut émettre l’hypothèse que, si une crise pétrolière frappait bientôt, elle aurait moins d’impact que celles de 1973 et 1979.

Par contre, les pays asiatiques, la Chine notamment, seraient durement frappés, eux qui doivent importer leur pétrole. Comme ce pays est l’atelier du monde et que beaucoup d’objets du quotidien sont fabriqués là-bas et transportés par bateau, cela aurait un impact sur les ménages d’ici. Dans la région, nous demeurons très dépendants de l’automobile pour le transport, tant des personnes que des marchandises. Une augmentation importante du coût de l’essence nous toucherait plus directement que dans les grands centres, compte tenu du niveau plus faible du revenu par personne dans la région et de la quasi-absence de transport en commun. Donc, oui, ce qui se passe là-bas pourrait avoir un effet direct sur les ménages et leur budget, particulièrement les plus démunis.

Au-delà de l’impact sur le portefeuille, il y a aussi celui sur nos communautés. On a voulu remplacer le pétrole issu de régions instables, comme le Moyen-Orient, par du pétrole produit ici et devenir autosuffisants. Cela a créé beaucoup d’emploi et de richesses, liés à l’extraction de cette ressource. Les conséquences négatives sont aussi visibles, et pas seulement en Alberta, car, une fois produit, il doit transiter, par train ou par oléoduc, vers la côte, pour l’exportation ou le raffinage. Mais transporter des millions de barils de pétrole n’est pas sans risque, tant pour l’environnement que pour la sécurité publique, tel qu’illustré par la tragédie de Lac-Mégantic. Des risques rappelés par l’opposition au projet du pipeline Énergie-Est dans la région. La planète est petite et notre dépendance au pétrole, ou plutôt notre interdépendance, qui nous lie les uns et les autres et des événements qui peuvent nous sembler très loin de chez nous ont des conséquences ici, autant que là-bas.


1 Pour une rétrospective des événements, voir Julien TRANIÉ, « Du Chah à l’Ayatollah : histoire de la révolution iranienne (1978-1979) », La Croix (s.d.), https://services.la-croix.com/webdocs/timeline/Chronologie-Iran-Revolution/ (page consultée le 20 janvier 2020).

2 Julien CHABROUT, « Pétrole : le détroit d’Ormuz, zone stratégique au cœur des tensions Iran–États-Unis », L’Express (6 janvier 2020), https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/pourquoi-le-detroit-d-ormuz-est-au-centre-du-systeme-energetique-mondial_2113556.html (page consultée le 20 janvier 2020).

3 Pour plus de détails sur cet événement, je vous invite à consulter : UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE, « 27 mars 1979, début du deuxième « choc pétrolier » », Perspective monde, [s.d.], http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=549 (page consultée le 20 janvier 2020).

4 AFP, « Les États-Unis bientôt exportateurs nets de pétrole », Les Affaires (11 mars 2019), https://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/ressources-naturelles/les-etats-unis-bientot-exportateurs-nets-de-petrole/608770 (page consultée le 20 janvier 2020).

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