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Coronavirus et paradis fiscaux

Source : Monique Pauzé, Bloc québécois

La pandémie de COVID-19 qui sévit monopolise l’espace médiatique : bilans quotidiens, émissions spéciales, reportage de fond, témoignages, etc.

Difficile de traiter cet enjeu sous un nouvel éclairage. Pourtant, il demeure quelques perspectives peu développées, parmi les analyses réalisées sur le sujet. Je vous propose donc une chronique en deux parties, la première touchant les aspects plus globaux de la crise et la seconde, plus locaux.

La pandémie aura des répercussions économiques majeures, et ce, partout dans le monde. Une récession nous frappe et les gouvernements ont ouvert les coffres pour soutenir les travailleurs et travailleuses mises à pied et les PME, car ce sont les seuls qui peuvent agir. Force est de constater que, malgré 40 ans de discours néolibéraux sur l’importance du laisser-faire, de la main invisible, de redonner de l’argent dans les poches des contribuables, de l’austérité et des privatisations, quand les choses vont mal, c’est encore et toujours vers l’État qu’on se retourne.

La majorité des principales puissances économiques occidentales doivent se lancer dans une lutte sans pitié contre un virus et une crise économique, en mauvaise posture.

D’ailleurs, les institutions financières, au pouvoir économique colossal, demeurent bien timides depuis le début de la crise. Elles ont diminué les taux (très élevés) sur les cartes de crédit la semaine dernière.1 À quand une baisse marquée des taux hypothécaires? Lors de la récession de 2008, c’est l’État qui a renfloué le système bancaire et les grandes corporations, notamment les fabricants d’automobiles. On se rappelle que le gouvernement canadien avait investi des milliards de dollars dans Chrysler (2,9) et GM (10,8), prêts remboursés jusqu’en 2018.2

Des plans de sauvetage titanesques sont mis en œuvre, mais il reste à voir de quelle manière l’argent public sera investi. Aidera-t-on les banques et les grandes entreprises, comme en 2008, pour que leurs dirigeants continuent à empocher d’importants bonus?3 Ou bien aidera-t-on les gens plus en bas de l’échelle, qui ont perdu leur gagne-pain ou les petites entreprises, qui devront mettre la clef sous la porte? Mais tout ceci a un prix et l’on spécule sur la hauteur du prochain déficit canadien, qui pourrait franchir le cap des 100 milliards $, e les 200 milliards $. À Québec, l’époque des surplus semble déjà loin. Aux États-Unis, le plan de relance dépasse la somme des 2000 milliards $, dans un contexte marqué par des baisses d’impôt historiques et d’importants déficits.4

Or, quand on regarde le portrait mondial, on constate que la situation de plusieurs pays durement touchés par la crise du coronavirus s’est détériorée depuis la dernière récession.

Tableau 1 : Évolution de la dette publique, en pourcentage du PIB, pour la période 2006-2019, pour certains pays de l’OCDE

Source : OCDE (2020), Dette des administrations publiques (indicateur). doi : 10.1787/ac7b4839-fr (Consulté le 06 avril 2020).

Comme on peut le voir sur le tableau, la majorité des principales puissances économiques occidentales doivent se lancer dans une lutte sans pitié contre un virus et une crise économique, en mauvaise posture. Et sans compter le fait que la facture risque d’être encore plus salée que la dernière fois. La hausse du niveau d’endettement signifie une augmentation du service de la dette pour les États et donc, moins d’argent à mettre dans les services publics. Il est vrai que les taux d’intérêt ont chuté rapidement et se situent maintenant à leur plus bas, ce qui va alléger le paiement des intérêts, mais les taux étaient déjà relativement peu élevés, historiquement, et les États ne peuvent plus utiliser cet instrument, la baisse des taux d’intérêt pour stimuler l’économie si la conjoncture se détériore.

Ce qui nous amène à la question centrale de cette chronique, question qui va donner un sens à cet étrange titre : Qui va payer? Au Québec, comme ailleurs, nous avons goûté aux baisses d’impôt, qui impliquaient, en contrepartie, des diminutions de services publics, notamment en santé et en éducation. Les congés fiscaux ne vont pas améliorer le système de santé, par les temps qui courent.

Les personnes les plus vulnérables et la classe moyenne sont ébranlées par la crise économique et il est illusoire de penser que ces gens vont renflouer les coffres de l’État. Les PME vont, elles aussi, être sévèrement touchées et ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher. En fait, une des dernières sources de revenus encore disponibles est celle qui est cachée par l’évasion fiscale, notamment dans les paradis fiscaux. Pour le gouvernement du Canada, 2018, on estime la perte à environ 17 milliards $ par année et le Conference Board du Canada parle d’une fourchette de 9 à 49 milliards $.5 Pour le Québec, le manque à gagner serait de près de 4 milliards $ en 2015.6 En 2014, l’Agence de revenu du Canada estimait que l’écart fiscal entre ce qui déclaré et ce qui est estimé se chiffrait entre 21,8 et 26 milliards $.7 Dans un contexte de crise sans précédent, les gouvernements en appellent à la solidarité et en ce sens, il est logique que cette solidarité s’étende aussi à la fiscalité. Un renforcement de la lutte internationale contre les paradis fiscaux, qui s’est intensifiée au cours des dernières années, et un durcissement du combat contre l’évasion fiscale, est, dans ce contexte, assez probable.


1 PRESSE CANADIENNE, « Plusieurs banques offrent des taux d’intérêt réduits sur les cartes de crédit », ICI Radio-Canada (3 avril 2020), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1691041/banques-desjardins-taux-carte-credit-dette (page consultée le 6 avril 2020).

2 Éric DESROSIERS, « Ottawa tire un trait sur le recouvrement de 2,6 milliards de prêts à Chrysler », Le Devoir (23 octobre 2018), https://www.ledevoir.com/economie/539646/le-canada-a-recupere-une-bonne-partie-de-son-aide-de-14-milliards-a-gm-et-a-chrysler-durant-la-crise (page consultée le 6 avril 2020).

3 Mélissa GUILLEMETTE, « La crise a épargné les grands patrons », Le Devoir (4 janvier 2011), https://www.ledevoir.com/economie/314041/la-crise-a-epargne-les-grands-patrons (page consultée le 6 avril 2020).

4 AFP, « Accord “historique” sur un vaste plan de relance de l’économie américaine », Le Journal de Montréal (25 mars 2020), https://www.journaldemontreal.com/2020/03/25/accord-historique-sur-un-vaste-plan-de-relance-de-leconomie-americaine (page consultée le 6 avril 2020).

5 Guillaume ST-PIERRE, « Les Canadiens cachent des milliards dans les paradis fiscaux », Le Journal de Montréal (28 juin 2018), https://www.journaldemontreal.com/2018/06/28/les-canadiens-cachent-des-milliards-dans-les-paradis-fiscaux (page consultée le 6 avril 2020).

6 Jean-Marc SALVET, « Paradis fiscaux : le Québec évalue ses pertes à 800 millions $ », Le Soleil (30 septembre 2015), https://www.lesoleil.com/affaires/paradis-fiscaux-le-quebec-evalue-ses-pertes-a-800-millions–73b1910fc517f01ba53568b6ef5aedf4 (page consultée le 6 avril 2020).

7 AGENCE DE REVENU DU CANADA, Écart fiscal : vue d’ensemble sommaire, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2019, https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/programmes/a-propos-agence-revenu-canada-arc/rapports-information-entreprise/sommaire-ecart-fiscal.html (page consultée le 6 avril 2020).

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