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La liberté. Quelle liberté ?

Réflexion sur les manifestants anti-masques

Dans les derniers mois et même tout récemment, ici, à Rimouski, des gens ont manifesté contre le port du masque en s’appuyant sur la perte de liberté que cela occasionnerait. Je me creuse la tête depuis des semaines parce que je ne vois pas très bien de quelle liberté ils parlent.

J’imagine que ce n’est pas cela, que je caricature, mais l’image qui me vient serait celle d’un enfant que l’on empêche de jouer avec des couteaux pour éviter qu’il ne se blesse ou blesse quelqu’un d’autre et qui péterait une crise parce que l’on brime sa liberté. 

Un enfant qui agirait ainsi le ferait parce qu’il n’a pas conscience du danger des couteaux, qu’il n’a pas d’expérience qui lui aurait appris qu’il faut manipuler ceux-ci avec soin sinon on peut blesser sérieusement, qu’il faut une certaine agilité que n’ont pas encore les enfants, etc. 

Sans dire que les enfants sont stupides et si on oublie que ce sont des enfants, une personne qui agit de la sorte est juste stupide : manque de jugement, manque de réflexion, agit de manière insensée, etc. Ainsi, être libre signifie-t-il être stupide ?

J’ose croire que les gens qui ont manifesté contre le masque ne sont pas stupides, du moins je l’espère. Ce qui nous ramène à la question : mais de quelle liberté parlent-ils ?

Je ne crois pas qu’on réfère ici au libre-arbitre non plus, à moins d’adopter une vision pour le moins manichéenne de l’existence humaine. Il y aurait eux, les gentils et le pouvoir (politique et économique), qui incarne les méchants. Le libre-arbitre, c’est l’idée que dans le destin de l’être humain, les choix de celui-ci ne sont pas le fruit de la main de Dieu, car cela voudrait dire que Dieu est à l’origine du mal et que ce dernier n’est donc pas bon. La conception du libre-arbitre provient de la scolastique qui a dû trouver une réponse au problème de l’origine du mal.

Si on adhère à une vision athée du libre-arbitre, on en vient à une vision dans laquelle la réalité se divise assez clairement en deux, le bien et le mal, et les individus doivent choisir leur camp et agir en conséquence. Or, est-ce que la réalité est aussi clairement divisée, dualiste ?

Cela nous mène aussi à une vision quelque peu adolescente du monde. Je m’oppose parce que l’autre n’est pas moi et comme moi je suis le bien, que l’autre est différent de moi, il est donc le mal. Pris dans la situation actuelle, le pouvoir veut nous asservir, nous rendre esclave en nous appauvrissant, en nous soumettant à son autorité absolue. Comme je ne suis pas en situation de pouvoir et que j’en souffre, le pouvoir est donc le mal. Le bien se situe donc dans l’autre camp, et je dois m’opposer à ce que dicte le mal.

Encore une fois, j’ose espérer qu’on n’est pas dans une pure dynamique d’opposition “adolescente” et qu’une vision plus subtile de la liberté est derrière les revendications de ces anti-masques.

Peut-être représentent-ils une frange éclairée de la population, une amorce de mouvement révolutionnaire pour établir une société plus juste, plus égalitaire ? Il y a sans doute de multiples raisons qui justifieraient une telle révolution. On a qu’à regarder : catastrophe annoncée sur le plan climatique, écarts profonds dans la redistribution de la richesse, pouvoir politique déconnecté de sa base, pouvoir économique qui ne vit que pour lui-même, qui échappe grandement au pouvoir politique et sur lequel seuls les grands actionnaires ont un certain contrôle, etc.

Cela dit, la question qui me revient constamment quand je pense à cette possible réponse, c’est pourquoi avoir choisi le masque comme champ de bataille, voire pourquoi le masque obligatoire canalise-t-il cette révolte alors qu’un certain nombre de ces personnes restaient bien pénardes quand les autres enjeux mentionnés précédemment faisaient les manchettes ?

On pourrait me dire que parfois ça peut prendre du temps à se mobiliser, à décider que c’est assez et qu’avec le masque on a obtenu cette goutte qui fait déborder le vase. Mais, encore là, je ne vois pas pourquoi le masque obligatoire est perçu par ces gens comme le symbole de l’oppression et de la tyrannie. 

C’est une mesure sanitaire, comme se laver les mains, dont le coût ne me semble pas très élevé en termes de contraintes, comparativement à d’autres contraintes ou lois. Par exemple, la règle de non double-imposition, à l’origine des paradis fiscaux, qui contribue à diminuer fortement les ressources de l’État, ce qui mène à des coupures de service et à des services publics sous-financés qui ont un impact énorme sur la vie de millions de personnes, voire sur la liberté de beaucoup d’entre elles.

Pourquoi le masque se ressent-il ainsi comme une perte profonde de liberté justifiant un mouvement organisé et des manifestations, alors que pour une perte de liberté réelle plus grande ces mêmes gens ne font rien ou très peu ?

Selon plusieurs penseurs, la liberté et l’autonomie s’acquièrent avec le savoir, le développement de la pensée critique de même que certaines attitudes fondamentales. Ce qui est sous-entendu par cette vision de la liberté, c’est qu’une personne qui ne sait pas ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait, n’est pas réellement en contrôle de ses actions et est soumis à des pulsions, des envies, des croyances, etc. Donc, une telle personne n’est pas libre.

Dans le jargon des complotistes et des anti-masques, on fait certains emprunts à cette vision. On dit aux gens d’être critiques, de faire leurs propres recherches, de ne pas simplement se soumettre à l’autorité. Or, force est de constater que beaucoup de gens sont “critiques” envers les sources officielles et beaucoup moins envers les sources du “web”.

Faire une revue de littérature, questionner la méthodologie des recherches, identifier les biais possibles de celles-ci, voire la scientificité d’une recherche en tant que telle, n’est pas la même chose que de parcourir des “posts” sur Facebook ou sur des sites “alternatifs”.

Est-ce que les médias disent tout ? Probablement que non. Est-ce que les politiciens mentent à leurs électeurs ? C’est fort possible qu’ils le fassent régulièrement. Est-ce que la recherche scientifique est complètement objective ? Non et ce serait demander à la science quelque chose d’inhumain. 

Ceci dit, pourquoi se fier plus à des inconnus sur Facebook, à des experts dans des domaines non-connexes ou des experts qui ne sont pas reconnus à l’intérieur même de leur profession, plutôt qu’à des journalistes officiels ou des scientifiques reconnus par leurs pairs ? Est-ce une approche avisée, critique et qui démontre de bonnes attitudes favorisant l’autonomie et la liberté ? J’ai de la misère à penser que oui. Ce n’est donc pas de cette liberté que ces anti-masques peuvent se revendiquer.

Dans la théorie, on parle souvent de deux conceptions de la liberté : positive et négative. La liberté positive est la capacité réelle de mettre sa volonté en action et d’augmenter les possibilités réelles. La liberté négative, quant à elle, est l’absence de contraintes extérieures. 

On dirait que les anti-masques se revendiquant de la liberté le font selon une variante simpliste et littérale de la liberté négative. Toutes contraintes étatiques, bonnes ou mauvaises, devraient êtres éradiquées. On peut en vouloir contre un certain paternalisme, mais, dans ce cas-ci, cela ne revient-il pas à s’opposer pour s’opposer ?

À vrai dire, je n’arrive toujours pas à voir de quelle liberté il peut être question à part une espèce de liberté ne reconnaissant pas la vie en société, où c’est la simple loi de la jungle qui sévit.(1) Les plus forts vont survivre, même au prix de la mort de certains, plus faibles. Donner le choix de suivre ou non les mesures sanitaires revient à cette loi de la jungle, car une personne peut se dire qu’elle peut ne pas porter de masque, acceptant le risque d’en infecter une autre, même si celle-ci devait en mourir. Or, la personne qui meurt perd toute liberté. Celle qui ne porte pas de masque gagne sa “liberté”. Est-ce acceptable ?

Honnêtement, la revendication de liberté de cette lutte contre le port du masque obligatoire ne me semble pas articulée de manière intelligente. Peut-être que l’approche à avoir envers cela est la même que nous devrions avoir envers un enfant qui fait l’imbécile pour avoir de l’attention : l’ignorance intentionnelle.

Références

  1. « Je vais continuer à vivre ma vie comme je le faisais. Si je l’attrape, je vais laisser la nature suivre son cours. C’est un peu l’approche de la loi du plus fort. Si ça m’assomme, ça m’assomme. C’est correct, même si j’en meurs. Si je meurs, je meurs. Je suis en paix avec ça. » (https://www.rds.ca/football/nfl/nfl-si-je-meurs-je-meurs-kirk-cousins-peu-effraye-par-la-covid-19-1.7725324)
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