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Écoanxiété et extrémisme du statu quo

Réflexion sur la notion d'extrémisme
Photo par Stormseeker sur Unsplash

Les réactions à ma dernière chronique au sujet du dossier « Costco » ont été celles attendues, malheureusement, et ça m’a fait beaucoup réfléchir. Le dernier livre de Fred Dubé, intitulé L’apocalypse durable, dont je viens tout juste de terminer la lecture, est venu apporter de la lumière à cette réflexion. Je l’en remercie.

Je m’aperçois maintenant que la notion avec laquelle j’avais de la difficulté à composer était celle de l’extrémisme. Depuis longtemps déjà, j’ai une intuition et je comprends maintenant que celle-ci se résume à peu près ainsi : l’extrémisme n’est pas celui que nous vendent les politiciens et certains médias. C’est plutôt celui du statu quo, autrement dit de la poursuite du mode de vie actuel, au mépris de la vie et de la réalité. 

L’ironie, c’est que cet extrémisme reçoit aussi l’adhésion très large de ceux mêmes qui en subissent les plus fortes conséquences. « Il ne faut rien changer, car même si la vie est difficile dans le monde actuel, elle serait sans doute bien pire si on modifiait le système »… Ou : « Je n’ai pas le temps de m’occuper du système, je dois survivre… »

Qu’on ne s’aperçoive pas que les multinationales ne sont pas des organisations philanthropiques qui cherchent à sortir les gens de la misère en offrant des bas prix et quelques emplois bien rémunérés, c’est pour le moins questionnant.

Quel sens attribuons-nous à notre propre existence ? Ce que je ne saisis pas, c’est pourquoi nous ne questionnons pas l’idée que nous devons « gagner » le droit à une existence paisible dans une grande loterie qui s’appelle le marché capitaliste pour laquelle seule une poignée de gens ont de réelles chances de gagner ?

Pourquoi nous acceptons aussi que les hasards comme la famille, le pays, le sexe, la couleur de peau ou, encore, l’époque dans laquelle on naît ont beaucoup plus d’importance que la volonté, le travail, l’intelligence ou le simple fait d’être un humain, dans le sort qui nous attend dans cette loterie de l’existence ?

Je peux bien croire que nous avons tous besoin de donner un sens à la souffrance que l’on endure au quotidien, mais comment pouvons-nous accepter comme un bon modèle celui qui génère de la souffrance à grande échelle et qui menace l’existence même de notre espèce ? 

Et, pourquoi tant de personnes qui souffrent de ce modèle en deviennent-elles les plus grands défenseurs ? Avec une certaine agressivité même. Je ne vois pas d’autres réponses que le qualificatif “extrémisme”. Un extrémisme du statu quo.

Robert Kennedy a dit une phrase superbe par rapport aux extrémistes : « ce qui est critiquable, ce qui est dangereux avec les extrémistes, ce n’est pas qu’ils sont extrêmes mais intolérants. Le mal n’est pas dans ce qu’ils disent pour défendre leur cause mais dans ce qu’ils disent à propos de leurs opposants. »(1)

À mon sens, les défenseurs du statu quo sont actuellement les vrais extrémistes. Ils s’attaquent à tout ce qui ressemble à un changement avec hargne, parfois même avec violence. Ils ne permettent pas la discussion, la remise en question : « Je veux mon Costco, je veux continuer de brûler du gaz et, si tu m’en empêches, tu ne mérites pas le respect. », pour le dire gentiment…

Même sans cette hargne, dans le refus de perdre un certain confort, une certaine liberté, autrement dit prendre place dans cette sacro-sainte majorité silencieuse, les défenseurs du statu quo permettent aux pires scénarios de se produire. On estime à au moins 100 000 morts par an le nombre de personnes qui perdent la vie avec pour cause principale les changements climatiques.(2) Et ça ne risque pas d’aller en diminuant. Quand on choisit le maintien de notre mode de vie, il faut mettre ces vies dans la balance ou, plutôt, sur notre conscience.

Et, poursuivre dans la voie actuelle, dans le statu quo, cela veut dire amener le monde dans un état pratiquement invivable pour la plupart d’entre nous d’ici la fin du siècle. Cela veut dire provoquer l’extinction de milliers d’espèces vivantes. Cela veut dire continuer de creuser l’écart entre les riches et les pauvres. Cela veut dire maintenir des conditions de vie misérables pour des milliards d’êtres humains. Cela veut dire maintenir des millions de gens dans une situation d’injustice et d’oppression. Et j’en passe.

J’ai bien de la difficulté à voir comment défendre le statu quo est quelque chose de moralement acceptable. On dirait que tout le monde attend le miracle technologique ou un Messie. N’est-il pas possible de faire les choses autrement ?

Il me semble que nous pouvons faire mieux. Il me semble que nous pouvons imaginer un autre monde. Il faudrait par contre ne pas donner la tâche de repenser le tout à ceux qui ont mis le feu à la maison, comme nous le faisons actuellement. La COP26 a été un bon exemple de cela : les lobbyistes des pétrolières qui travaillent main dans la main avec les politiciens alors que les organismes environnementaux et les citoyens ne sont pas consultés…

Et si on faisait une pause et qu’on impliquait tout le monde dans cette discussion sur notre avenir à tous ? S’en remettre à des élus, c’est ce que nous faisons depuis des dizaines d’années, avec les succès que l’on connaît. La définition de la stupidité n’est-elle pas d’essayer toujours la même chose en espérant un résultat différent ?

Références :

1- https://fr.wikipedia.org/wiki/Extrémisme

2- https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1797430/canicules-tiers-deces-attribuables-rechauffement

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