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De Jean-Jacques Rousseau à Mark Zuckerberg

Un texte de Mathilde Lagacé et Alexanne Lemieux
Photo par Annie Spratt sur Unsplash

Pour cette chronique de décembre, un petit clin d’oeil au travail de mes étudiantes et étudiants qui achèvent leur session d’automne, une première en présence depuis un certain temps, ce qui a fait du bien pour tout le monde !

Avec leur autorisation, je partage ainsi le texte de deux étudiantes, Mathilde Lagacé et Alexanne Lemieux, qui ont réussi de manière exceptionnelle l’exercice demandé. Il s’agissait de la rédaction d’une lettre d’un philosophe à une personnalité connue, exercice inspiré du livre Sincèrement vôtre de René Bolduc. Bonne lecture et bravo à Mathilde et Alexanne !

Bonjour M. Zuckerberg, pauvre soumis du capitalisme,

J’ai presque pitié d’argumenter contre vous, un homme déjà si froissé et corrompu par la société. Ne vous inquiétez pas, je veillerai à ce que mes opinions n’empirent pas votre mal-être. Comme vous ne pouvez guère trouver mon profil Facebook, c’est moi qui me présenterai à vous, assurant ainsi des informations véridiques à mon sujet. Je suis né à Genève en 1712, j’ai grandi en étant orphelin et errant. La société m’a donné comme titre écrivain, philosophe et musicien. Avec mes livres confrontant l’Église catholique, mon sentiment de persécution a su nourrir mes convictions. Selon moi, l’Homme est naturellement bon et la société accroit les inégalités. C’est par la constante recherche de pouvoir que l’être humain a perdu une partie de sa liberté et a nui au développement humain. Contrairement à vous, mes idées n’ont pas été influencées par mes désirs et mon complexe de supériorité. C’est pourquoi il serait gratifiant pour vous, mon cher Mark, de considérer le point de vue d’un homme pur qui n’a pas été dénaturé par la perversion de la société. 

Je vais droit au but en vous questionnant : avons-nous réellement évolué ? C’est avec cette lettre que je tenterai de comprendre comment vous faites pour vivre dans cette abondance inutile. Je vous convaincrai que vos technologies et vos avancées ne font que détériorer les capacités et les connaissances des êtres humains. 

Mais ultimement, qu’est-ce qu’une société ? La définition de ce terme ne cesse de changer au fils des ères et des générations. La société représente un groupe de personnes qui coexistent dans une même période de temps. Les individus d’une société ont-ils obligatoirement des rapports harmonieux ? De vos jours, une société est une organisation dirigée par un groupe de personnes formant un système hiérarchique. Une société comporte plusieurs classes sociales qui peuvent causer des injustices. Celle-ci apprend aux humains à vivre en communauté, mais les pousse à être individualistes. Une société est-elle au final seulement un ensemble de personnes en compétition? Donc, est-il préférable de vivre en société, sachant qu’elle multiplie les inégalités, ou seul, sans influences externes? Par conséquent, lorsqu’on dit qu’une société évolue, parle-t-on de l’évolution des gens ou des biens matériels qui la composent?

Si je me mets dans vos souliers à deux mille dollars, je réussis de peine et misère à assimiler votre désir inépuisable de faire évoluer la société par la technologie. Excusez mon impolitesse, dois-je écrire une publication sur votre journal Facebook pour bien me faire comprendre ? Alors, à votre avis, la société n’a pas de limite à progresser et les avancées technologiques ne peuvent qu’être positives pour les êtres humains ? Comment pouvez-vous croire que d’entrer dans la vie privée des gens est normal et anodin ? Votre objectif est-il que les technologies que vous créez prennent le contrôle de nos vies et dictent la société ? Donc, est-ce que l’évolution de la société que vous désirez tant est vraiment saine et est une bonne option pour l’Homme ? Vous ne vous sentez donc pas égoïste de profiter de la technologie comme les réseaux sociaux, une réalité imaginée, pour contrôler les individus à part entière ? Ainsi, les êtres humains peuvent-ils vivre en société sans créer d’inégalités? 

Soyez prêt mon malheureux Mark, je ferai preuve de sincérité et affecterai à coup sûr votre égo. Selon moi, il est indéniable que la société ne cesse d’oublier la valeur fondamentale de l’égalité. Je ne peux que m’indigner de voir ces injustices qui surviennent causées par la mégalomanie de gens comme vous. N’avez-vous donc pas honte de contribuer à la détérioration de la bonté humaine ? Ce n’est certainement pas en développant une société virtuelle que l’on délaissera les problèmes de notre société réelle. 

Je vous demande avec courtoisie, mais qu’est-ce que l’argent ? Je sais que pour vous ces petits bouts de papier sont essentiels à votre bien-être et votre reconnaissance dans le monde. L’errant au fond de moi sait que l’argent n’est qu’une apparence et une fausse représentation de la réalité. Ce concept d’argent est de nos jours intrinsèque au fondement d’une société et aveugle notre perception de ce qui est bon pour nous. Auparavant, nous vivions pour combler nos besoins fondamentaux, tandis que maintenant, vous vivez pour combler vos désirs. Par exemple, si une personne n’a pas les moyens de répondre à ses désirs, cela signifie-t-il que sa place dans la société est moins importante qu’une autre personne qui aura l’argent pour s’acheter tout ce qu’elle veut ? Si nous comparons deux individus, nous ne jugeons plus leurs valeurs et leur être, mais plutôt tout l’argent et les biens qu’ils possèdent. 

Je vous entends déjà contester mon point de vue trop peu dispendieux pour vous. Vous me répondrez qu’il est impossible au 21e siècle de survivre et de progresser dans la société sans avoir d’argent. Je vous comprends, pauvre Mark, étant né dans l’optique que la réussite découle de la richesse, de vouloir à tout prix profiter de vos capitaux au détriment d’une société égalitaire. 

En réfléchissant deux fois plutôt qu’une, je conçois qu’il est désormais nécessaire de posséder des biens pour exister dans la société. Cependant, à mon avis, il n’est pas normal que le système mette de côté le bien-être du vivant pour s’enrichir. 

 Sans intention de vous blesser davantage, je suis en plein désarroi de constater que la popularité des gens influence la considération qu’on leur offre. Je m’y connais peu face à votre invention pitoyable, mais je suis choqué de voir qu’un insignifiant pouce en l’air peut donner de l’importance à un utilisateur. Comment prouver qu’une personne qui a moins d’amis sur Facebook n’est pas égale à un individu qui est plus connu? Cette application ne fait qu’amplifier la jalousie, la compétitivité, la perte de liberté et les rapports conflictuels, de manière à faire augmenter les inégalités. 

Vous me direz que malgré toute la négativité qui ressort de ce média, la notoriété peut être bénéfique. Vous insinuez que si quelqu’un subit des injustices, il n’est pas de votre ressort de vous y en préoccuper puisque celles-ci ne vous affectent pas. 

Vous me prouvez donc, M. Zuckerberg, que la société corrompt bel et bien l’Homme en le rendu malhonnête et narcissique.

Je vous remercie grandement d’être un si bon exemple de régression de la bonté de l’être humain. Vous avez éclairé mes convictions en me prouvant que les êtres humains ne sont pas dans la possibilité de coexister sans créer d’inégalités. Alors, je peux affirmer que nous n’avons pas évolué de sorte à faire régresser nos connaissances et nos habiletés. Existerait-il une autre forme de société qui permettrait d’éviter ces injustices et ce système hiérarchique abusif, qui pourrait me convaincre que l’évolution d’une société n’est pas impossible ?

Je partagerai votre compte à mes confrères philosophes et je déposerai une mention « J’aime » sur votre photo de profil. En espérant que votre empire ne prenne pas trop d’ampleur,

JEAN-JACQUES ROUSSEAU, alias Mathilde et Alexanne

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