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A-t-on oublié la réalité en chemin ?

La croyance comme mode d'existence a ses limites
Photo par Matt Palmer sur Unsplash

Il est toujours étonnant de constater à quel point il existe une différence marquante entre la réalité telle qu’elle est et la réalité telle que nous croyons qu’elle est. Surtout, il est fascinant de voir à quel point la réalité à laquelle on croit prime sur la réalité elle-même.

Ce que nous croyons représente un mythe, une fiction. Ce que nous savons avec certitude représente la réalité. Nos croyances affectent le réel. Sauf que le réel ne semble pas en retour affecter dans la même proportion nos croyances.

Si je crois que Dieu existe, je peux construire un monument, voire commencer une guerre en son nom. Cela a un impact sur le réel : des objets apparaissent, de la souffrance est ressentie. À l’inverse, si ma croyance est contredite par une connaissance du réel, soit je n’en tiendrai pas compte, soit je l’intègrerai à ma croyance.

Par exemple, si je prie pour que quelqu’un guérisse et que cette personne meurt, je ne me dirai pas que la prière n’a pas de lien causal avec la guérison. Je me dirai que Dieu avait d’autres plans.

Et les croyances ne sont pas que religieuses. À peu près tous les individus vivant dans le monde actuel croient que la croissance économique est la solution à tous les problèmes sociaux. La pauvreté : il faut créer plus de richesses et on pourra mieux aider les pauvres. La santé : en créant plus de richesses, nous pourrons financer adéquatement les hôpitaux.

Sur une base individuelle, la plupart des individus adhèrent à l’idée que pour chaque problème ou besoin, il faut acheter quelque chose. J’ai faim : je m’achète de la nourriture. Je suis déprimé : je me paie une thérapie. Je m’ennuie : je m’achète un chien.

Or, est-ce que ces croyances, qui ont un impact énorme sur la réalité, représentent LA réalité ? Autrement dit, est-ce la seule façon imaginable pour arriver aux résultats escomptés, voire est-ce que ces croyances ne sont pas elles-mêmes la source des problèmes que l’on tente de régler ?

On oublie trop souvent qu’il s’agit aussi de croyances. Et les raisonnements qui en découlent peuvent malgré tout être lourds de conséquences.

Dans les dernières semaines, le GIEC a publié un rapport plus qu’inquiétant concernant les changements climatiques : il faut agir rapidement, sinon c’est foutu pour nous. Les gestes entrepris sont beaucoup trop modestes et n’arrivent pas à diminuer l’ampleur des phénomènes.(1)

À peu près au même moment, François Legault se présente devant des industriels du Saguenay-Lac-St-Jean et dit que la protection de l’environnement ne se fera pas aux dépens de la création d’emplois. Lire entre les lignes que si on a le choix entre des emplois et la protection de l’environnement, ce sont les emplois qui primeront.(2)

C’est à ce moment que je me suis mis à réfléchir à la notion de crime contre l’humanité. Qu’est-ce qu’un crime contre l’humanité sinon un geste que l’on pose sciemment et qui a pour résultat direct ou indirect la mort d’êtres humains ?

Certaines études parlent de 100 000 à 300 000 morts par an attribuables aux changements climatiques, des chiffres considérés sous-estimés. (3) Il s’agit certes d’une responsabilité partagée. Toutefois, les décideurs n’ont-ils pas une responsabilité supplémentaire ?

C’est alors que je me suis dit que le problème, c’est que pour qu’il y ait crime, il faudrait que lesdites personnes fassent quelque chose qui va à l’encontre des lois actuelles. Or, les lois actuelles permettent aux politiciens de prioriser les croyances économiques plutôt que la réalité des changements climatiques. Il n’y a donc pas de crime, même si des gens meurent ou souffrent par dizaines de milliers.

Il faut donc se déplacer sur le plan moral, un autre plan dicté par les croyances. Vouloir que l’humanité survive, c’est une croyance. Vouloir plus d’égalité, c’est une croyance. Vouloir que les politiciens assument leur responsabilité sur le plan climatique, c’est aussi une croyance.

Ceci dit, sur le plan moral, nous n’avons pas besoin des lois déjà écrites. Il faut y aller avec ce avec quoi nous pouvons dormir la conscience tranquille. Et il nous est permis d’en juger par nous-mêmes. 

Il y a des élections actuellement au fédéral et l’an prochain au provincial ainsi qu’au municipal. Est-ce que les candidats pourront montrer une plus grande responsabilité envers la réalité et les électeurs une conscience morale dans laquelle les croyances font plus de place au réel ? Je nous le souhaite !

Références

  1. GIEC. 6e rapport d’évaluation, Genève, Intergovernmental Panel on Climate Change, 2021, https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/, consulté le 21 août 2021.
  2. Alexandre Shields. Pas de protection de l’environnement «aux dépens» de l’emploi, dit Legault, Montréal, Le Devoir, 13 août 2021,  https://www.ledevoir.com/politique/quebec/624438/la-protection-de-l-environnement-ne-se-fera-pas-aux-depens-de-l-emploi-affirme-legault, consulté le 21 août 2021.
  3. Agence France Presse. Au moins 100 000 décès par an sont attribuables au réchauffement climatique, Montréal, Radio-Canada, 31 mai 2021, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1797430/canicules-tiers-deces-attribuables-rechauffement, consulté le 21 août 2021.
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