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Centre vs. périphérie : vers un renversement de tendance?

Paysage rural du secteur de Saint-Anaclet, dans la MRC Rimouski-Neigette. (Photo: archives)

Lors de la dernière chronique, nous avons regardé l’effet mondial de la crise du coronavirus sur les États et leur capacité de payer. Cette fois, la question du développement régional sera abordée.

Sur plusieurs tribunes, on s’interroge sur l’avenir du modèle d’économie capitaliste mondialisée, avec ses chaînes d’approvisionnement complexes. On constate notre niveau de dépendance au commerce international pour un bon nombre de choses nécessaires : nourriture, médicaments, etc. Depuis plusieurs décennies, nous avons connu, dans plusieurs régions du Québec dites « périphériques », un déclin démographique1 et économique2, malgré une série d’initiatives et de politiques de développement régional et rural. Depuis le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec, durant les années 1960, à la politique de la ruralité, en 2001, les mesures continuent. Plusieurs acteurs régionaux ont étudié le phénomène, dont le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement de l’Est du Québec (GRIDEQ), à l’UQAR.

Métal du Golfe_VF

La crise actuelle, qui frappe plusieurs personnes qui ont vu, du jour au lendemain, leur gagne-pain s’envoler en fumée, donne un sérieux coup de flipper dans la machine à boules économique.

Chaque année, notre région voit partir plus de jeunes qu’elle n’en accueille et plusieurs ne reviendront pas. Nous avons, collectivement, l’impression que notre sort n’est pas entre nos mains, mais plutôt dans celles de décideurs économiques et politiques, qui siègent à Québec, Montréal, Toronto ou Washington. Que nous subissons des accords de libre-échange, la délocalisation et les volontés des grandes entreprises. Bref, nous constatons que nous ne faisons pas partie du « centre », du moins à l’échelle du Québec et du Canada3.

Peut-on renverser ce mouvement? Assistons-nous à un lent déclin qui se soldera par la création de régions ressources vidées de leur population et exploitées sans vergogne par des multinationales? Entreprises étrangères qui feront du « fly in, fly out » pour ramener la richesse, minière ou forestière, dans leurs sièges sociaux (et dans les paradis fiscaux). Que restera-t-il à part des sites industriels abandonnés et polluants?

En attendant un grand mouvement de décentralisation économique, n’oublions pas que les régions dites « périphériques » disposent de certains atouts qui ne peuvent pas être délocalisés en Chine.

La crise actuelle, qui frappe plusieurs personnes qui ont vu, du jour au lendemain, leur gagne-pain s’envoler en fumée, donne un sérieux coup de flipper dans la machine à boules économique. Les grandes villes, moteurs de l’économie-monde, ont aussi montré leur face plus sombre : promiscuité, inégalité, exiguïté. Pendant que la région s’apprête à redémarrer dans un calme relatif, à Montréal on s’interroge sur le bien-fondé de cette même reprise économique et sociale, avec les foyers d’infection qui débordent maintenant des CHSLD. Une pétition circule en ce moment pour maintenir les barrages routiers qui nous coupent des autres régions. Soudainement, on voit des avantages à vivre « en région » : coût de la vie moins élevé, densité de population plus faible, proximité à la nature, etc. Il y a quelques années, Roméo Bouchard écrivait ceci :

À plus long terme, il est possible que le système de mondialisation et d’urbanisation actuel connaisse un recul majeur à la suite des astreintes écologiques, sociales et économiques qui le guettent : l’épuisement du pétrole, les changements climatiques, la rareté de l’eau potable, les atteintes à l’équilibre de la vie, les risques croissants d’épidémie, les conflits liés aux inégalités sociales, etc. L’effondrement des transports, des pratiques industrielles et de la spéculation monétaire, qui sont à la base du libre-échange actuel, pourrait nous ramener plus rapidement que l’on pense à la nécessité de rétablir des circuits courts et de distribution, donc les espaces régionaux.4

La création de circuits courts de production et de consommation, qui se développe à petits pas dans le secteur agricole. La multiplication des marchés publics ou des micro-brasseries dans la région peut en témoigner, mais c’est plus timide dans d’autres domaines. Par exemple, on remarque encore peu de valorisation des produits de la forêt, ligneux ou non.

Ça prendra sans doute plus que la crise actuelle pour faire pencher la balance et renverser la tendance. Mais elle porte à réfléchir. En attendant un grand mouvement de décentralisation économique, n’oublions pas que les régions dites « périphériques » disposent de certains atouts qui ne peuvent pas être délocalisés en Chine. On peut citer des ressources naturelles abondantes (agriculture, forêt, mines, pêcheries), un patrimoine bâti et humain, des terroirs uniques. Mais encore faut-il avoir les outils en main pour pouvoir les mettre au service de la communauté : c’est pourquoi cette transformation économique doit s’accompagner d’une décentralisation politique, chose qui est loin d’être acquise.


1 Pour le Bas-St-Laurent, la population est passée de 215 164 en 1986 (3,2 % du total) à 197 322 en 2019 (2,3 % du total). Source : INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC, Estimation de la population des régions administratives, 1er juillet des années 1986 à 2018, Québec, ISQ, 2019, https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/structure/ra-total.xlsx (page consultée le 4 mai 2020).

2 Encore ici, le pourcentage du PIB de la région par rapport au total du Québec est passé de 2,03 % en 2008 à 1,92 % en 2017. Source : INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC, Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base1 par région administrative, Québec, 2008-2017, Québec, ISQ, 2019, https://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/profils/comp_interreg/tableaux/pib_ra_2008-2017.htm

3 On pourrait considérer que le Québec et le Canada font partie du « centre », par rapport à la « périphérie », que pourraient constituer l’Afrique ou plusieurs régions de l’Asie, par exemple.

4 Roméo BOUCHARD, Y a-t-il un avenir pour les régions?, 2e édition, Montréal, Écosociété, 2013, p. 54-55.

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