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Un oiseau annonciateur de l’hiver et météosensible

Un article scientifique rédigé par Marie-Pier Laplante de l’Université du Québec à Rimouski, et paru en février 2019 dans le Journal of avian biology, permet d’expliquer comment le plectrophane des neiges, ce voyageur du Grand Nord, réussit à passer à travers nos hivers rigoureux en s’ajustant rapidement aux changements météorologiques.
Plectrophane des neiges
Les plectrophanes des neiges ont déjà commencé à arriver de l’Arctique pour passer l’hiver dans la région du Bas-Saint-Laurent. (crédit photo : Bruno Laplante).

La majorité des espèces d’oiseaux qu’on observe en été à Rimouski passent l’hiver sous les tropiques afin de trouver de la nourriture et des conditions plus clémentes. Certaines espèces bien adaptées au froid, telles que la mésange à tête noire, résident quant à elles à l’année longue dans notre région.

Bien peu d’espèces vont toutefois quitter le Grand Nord pour venir hiverner dans le Bas-Saint-Laurent. Le harfang des neiges, ce majestueux hibou blanc emblématique du Québec (qui est aussi la compagne ailée de Harry Potter) est un exemple bien connu ici. Le plectrophane des neiges est un autre exemple de ce type d’hivernants. Il est toutefois moins connu de la population. Outre son nom quelque peu rébarbatif, le plectrophane est tout aussi magnifique à observer que le harfang. Il ressemble à une grosse boule d’ouate virevoltant dans les airs lorsqu’on l’observe en vol au-dessus d’un champ enneigé en hiver.

Marie-Pier Laplante, diplômée à la maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats à l’UQAR en 2018. (crédit photo : Marie-Pier Laplante).

Qui ?

Marie-Pier Laplante a réalisé ses études de maîtrise dans le laboratoire d’écophysiologie du professeur François Vézina (français) à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Ce laboratoire se spécialise entre autres dans l’étude de l’écologie hivernale de quelques espèces d’oiseaux et de leur acclimatation au froid. Que ce soit dans leur laboratoire d’Alert près du pôle Nord, au Nunavut, ou dans la volière extérieure située entre l’UQAR et le complexe sportif Desjardins à Rimouski, les recherches du professeur Vézina et de ses étudiantes permettent de mieux comprendre comment les oiseaux survivent aux hivers nordiques.

Quoi ?

L’étude de Marie-Pier Laplante1 porte sur l’acclimatation au froid des plectrophanes des neiges en hiver. L’engraissement est un mode d’acclimatation au froid adopté par plusieurs espèces d’oiseaux hivernant sous nos latitudes2. Le plectrophane des neiges n’y échappe pas… en hiver, il doit augmenter ses réserves en graisses. Parce que c’est un oiseau diurne et que les journées sont courtes en hiver, on suppose qu’il doit passer plus de temps à s’alimenter quand il fait froid. Cette hyperactivité alimentaire lui permettrait de constituer des réserves suffisantes pour passer à travers les nuits froides et longues de l’hiver et pour pallier aux jeûnes périodiques provoqués par les tempêtes qui limitent l’acquisition de nourriture.

L’étude de Marie-Pier Laplante a permis de mettre en évidence que le plectrophane des neiges s’ajuste rapidement et précisément aux variations quotidiennes de la météo. « Les plectrophanes sont de grands météosensibles », selon Marie-Pier3. Par exemple, lors d’une journée très froide, ou encore pendant une journée fortement enneigée, le plectrophane augmentera le temps passé à s’alimenter et l’accumulation de gras. Au contraire, lors des redoux hivernaux, le plectrophane réduira l’engraissement pour ne pas nuire à ses capacités d’envol, ce qui pourrait ainsi augmenter le risque de prédation.

L’étude a également démontré qu’il existait des différences entre les mâles et les femelles. Tout d’abord, sur le plan spatial, 90% des oiseaux capturés entre Rimouski et Montréal sont des mâles tandis que les femelles se retrouveraient plus au sud, en Ontario. Les mâles étant plus gros que les femelles, ils seraient plus endurants au froid et c’est pourquoi on les retrouverait plus au nord de l’aire d’hivernage. Il a toutefois été observé que les femelles accumuleraient proportionnellement plus de réserves de gras que les mâles afin de pouvoir survivre au froid malgré leur plus petite taille et leur masse musculaire inférieure.

Comment, quand et où ?

Cette étude est le résultat d’un suivi de sept années réalisé dans huit stations de baguage hivernal, de Windsor en Ontario à Mont-Joli, entre 1981 et 2010. Les résultats de l’étude découlent de l’analyse d’une incroyable base de données de 12 245 individus bagués pour lesquels ont été relevés l’âge, le sexe et différents paramètres morphologiques dont la masse et le niveau d’engraissement.

À chacune des stations de baguage, les données météorologiques quotidiennes ont été recueillies (ex. : accumulation de neige, précipitations, température minimale et maximale, vent, etc.) afin de les relier aux informations enregistrées pour chacun des individus bagués.

Les huit stations de baguage où ont été capturés les plectrophanes des neiges en hiver (source : Laplante et coll., 2019)

L’étude de Marie-Pier Laplante est également le fruit d’un bel exemple de science citoyenne participative. Démarré en 2009 par son co-directeur Oliver Love de l’Université de Windsor,  Marie-Pier a ainsi bénéficié de l’appui du réseau Canadian Snow Bunting Network (CSBN) regroupant une dizaine d’équipes de bagueurs bénévoles, des étudiant.e.s de cycles supérieurs ainsi que des scientifiques en Ontario et au Québec.

Importance de l’étude

Les modèles climatiques prévoient que les hivers seront caractérisés par une augmentation de l’amplitude et de la fréquence des événements météorologiques extrêmes4.  Ces événements risquent d’affecter la dynamique des populations des espèces adaptées au froid si celles-ci ne réussissent pas à développer des stratégies pour en limiter les impacts5. L’étude des stratégies d’acclimatation au froid chez le plectrophane des neiges fait donc partie des étapes nécessaires à l’identification des processus par lesquels les oiseaux réussissent à s’adapter et à faire face au stress causé par les changements climatiques.

Le plectrophane en chanson

À noter que, outre ses qualités scientifiques, Marie-Pier Laplante maîtrise aussi bien le chant et la musique. Elle a su marier sa passion pour cette espèce ainsi que son talent d’auteur-compositrice-interprète afin de composer et enregistrer une chanson résumant ses travaux : Oiseaux des neiges (elle a composé les paroles sur l’air de Wild Hunt de Tallest Man on Earth).

La chanson Oiseaux des neiges a été composée par Marie-Pier Laplante lors de sa participation à « Ma thèse en 180 secondes » à l’UQAR en 2016.

Le climat et la météo : une question de définitions
Le climat se définit comme l’ensemble des caractéristiques météorologiques qui définissent une région géographique donnée. On utilise des moyennes calculées sur une longue période de temps (30 ans) pour définir ce que sont les normales et les extrêmes climatiques (ex. : la température moyenne d’une région, la pluviométrie minimale, la vitesse maximale des vents, etc.). La météo se définit sur le plan local et à court terme (en terme d’heures, de journées, de semaines). C’est l’ensemble des mesures instantanées qui sont prises par des stations météorologiques, des ballons-sondes ou des satellites et qui sont également utilisées pour réaliser des modèles de prévisions météorologiques à court terme.

Références

  1. Laplante, M. P., E. A. McKinnon, O. P. Love et F. Vézina. 2019. Flexible response to short‐term weather in a cold‐adapted songbird. Journal of avian biology, 50 (2): 1-10.
  2. Blem, C. R. 1990. Avian energy storage. – In: Power, D. M. (ed., Current ornithology. Plenum Press, p. 59–113.
  3. Laplante, M. P. 2018. Le plectrophane des neiges – Écologie hivernale d’un voyageur du Grand Nord. QuébecOiseaux, hiver2018, p. 18-23.
  4. GIEC. 2013. Climate change 2013: the physical science basis. contribution of working group I to the fifth assessment report of the intergovernmental panel on climate change. – Cambridge Univ. Press, 1535 p.
  5. Williams, C. M., H. A. Henry, et B. J. Sinclair. 2015. Cold truths: how winter drives responses of terrestrial organisms to climate change. – Biol. Rev. 90: 214–235.
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