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Réflexions estivales sur la démocratie

Crédit : Véronik Picard, Radio-Canada

Quelques événements, au cours des derniers mois, mettent en lumière différentes conceptions que nous pouvons avoir de ce que signifie la démocratie et illustrent le choc de ces différentes visions qui s’opposent. La situation tendue au conseil municipal de Rimouski au sujet de la transparence du processus décisionnel, abondamment couverte par Le Soir, ainsi que le défunt projet de loi 61, sur la relance économique du Québec nous ont fourni deux exemples révélateurs de cette situation conflictuelle. D’un côté, des acteurs politiques qui veulent que ça roule rondement, qui voient les délibérations publiques ou les consultations comme des obstacles à la bonne marche des affaires. D’un autre côté, d’autres acteurs qui insistent sur la nécessité de transparence du processus.

Ceci illustre deux conceptions en apparence opposées : des institutions publiques qui fonctionnent rapidement, mais de manière opaque par opposition à des institutions transparentes, mais qui prennent plus de temps à agir. Le gouvernement de la CAQ, dont plusieurs membres sont issus du milieu des affaires, donne l’impression qu’il faut que ça bouge vite, quitte à écraser des orteils en passant. Ces ministres amènent une vision top-down : le gouvernement décide et la machine suit. Cette vision peut sembler séduisante de prime abord, nous laissant miroiter des chantiers qui sont lancés à toute vapeur, entraînant le Québec dans une reprise économique de lendemains qui chantent. Or, le passé récent, que les médias nous ont par ailleurs rappelé, nous révèle que de vouloir aller trop rapidement a son prix. La Commission Charbonneau nous a montré une partie de l’ampleur du problème de la corruption liée à la construction au Québec. Sans compter les impacts environnementaux soulevés.1 Le projet de loi 61 a avorté, après une volée de bois vert, et c’est maintenant la ministre Lebel, ancienne procureure à la commission, qui va reprendre le dossier.

À Rimouski, le maire Parent semblait se satisfaire de la situation actuelle, où on rend publique la décision, sans que les discussions qui mènent à celle-ci le soient, ce qu’a déploré la conseillère Virginie Proulx. Autrement dit, on sait ce qui a été voté, mais on ne sait pas pourquoi, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de rumeurs et spéculations. Cela dit, la pratique est courante dans de nombreuses municipalités. L’ancien ministre Rémi Trudel, aujourd’hui professeur à l’École nationale d’administration publique, a affirmé que cette manière de faire respectait la loi, mais pas l’esprit de la loi.2 À ce sujet, rappelons que dans notre régime politique, la discussion dans le cadre de l’adoption de projets de loi demeure publique, que les travaux parlementaires sont télévisés et qu’on peut consulter les journaux des débats. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi au niveau municipal?

La démocratie et le peuple

Les débats au sujet de la conception démocratique de nos institutions publiques ne datent pas d’hier. Le dernier ouvrage du politologue Francis Dupuis-Déri, Démocratie. Histoire politique d’un mot, nous rappelle, avec les exemples de la France révolutionnaire et des États-Unis naissants, que le mot lui-même a longtemps traîné une connotation négative, avec une image des masses populaires qui allaient foncer sur les riches pour leur confisquer leurs biens. On peut remonter jusqu’à Platon, qui, dans le livre VIII de La République, voyait la démocratie comme une forme dégénérée de gouvernement, en bas du classement, juste en haut de la tyrannie.

La méfiance du peuple est profondément ancrée dans l’histoire des idées politiques, ne serait-ce que parce que ceux qui ont écrit sur le sujet sont majoritairement des hommes venus de l’aristocratie ou la bourgeoisie, bref loin des milieux populaires. Aux États-Unis, la lecture des Federalist Papers, journaux publiés après la Guerre d’indépendance et qui ont alimenté les discussions dans le cadre de la rédaction de la constitution, nous plonge dans des débats où la suspicion, voire le mépris du peuple, ressort franchement à plusieurs reprises.

Si on regarde nos institutions publiques, force est de constater que la peur du peuple est profondément inscrite un peu partout, tant dans l’histoire que dans l’actualité : le suffrage censitaire et l’exclusion de plusieurs catégories de personnes du droit de vote, l’absence de délibération citoyenne formelle, la faible fréquence des consultations référendaires ou citoyennes, des institutions élitistes comme le Sénat3, qui vient surveiller le travail des Communes, marginalisation politique de certaines populations défavorisées, inégalités sociales persistantes, criminalisation sélective4. La liste pourrait continuer longtemps et sous cet éclairage, les débats actuels sur la conception de nos institutions publiques n’étonnent guère.


1 Shanelle GUÉRIN, « Le projet de loi 61 vu d’un mauvais œil par les conseils régionaux de l’environnement », Radio-Canada (11 juin 2020), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1711124/projet-loi-61-conseil-regional-bas-saint-laurent-gaspesie-environnement-milieu-humide (page consultée le 2 juillet 2020).

2 Shanelle GUÉRIN, « Marc Parent explique l’exclusion de la conseillère Virginie Proulx », Radio-Canada (1er juin 2020), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1708114/comite-plenier-conseil-municipal-virginie-proulx-district-bic-rimouski (page consultée le 2 juillet 2020).

3 Il est important de rappeler que la nomination des membres du Sénat est effectuée par le Premier ministre directement, fait inusité pour une fédération. Bien que ses pouvoirs législatifs aient été réduits au fil du temps, son abolition demeure techniquement très difficile.

4 À titre d’exemple, l’itinérance, qui est le fait de personnes en situation de pauvreté, peut entraîner une amende, mais l’évitement fiscal, apanage des riches, reste parfaitement légal et l’évasion fiscale encore possible dans plusieurs juridictions.

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