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Octobre 1970, le Québec et le monde

Source : Radio-Canada

NDLR: Cette chronique s’inscrit dans une série de textes portant sur les 50 ans de la crise d’Octobre 1970, dans un dossier proposé par le journal le soir.

Dans l’imaginaire québécois, deux événements majeurs définissent la crise d’Octobre : l’enlèvement et la mort du ministre Pierre Laporte par des membres du Front de libération du Québec (FLQ) et l’application de la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral.

Octobre 1970 marque la fin d’une époque rocambolesque dans l’histoire politique du Québec, une histoire dont plusieurs événements sont aujourd’hui oubliés, mais qui est intimement liée au contexte international effervescent des années 1960. En ce 50anniversaire de la crise d’octobre, plusieurs œuvres et récits inédits sont venus enrichir notre mémoire de ces événements et donner une nouvelle perspective sur le passé.1

L’accélération de l’histoire au Québec

Durant les années 1960, la Révolution tranquille a accéléré le développement de l’État québécois moderne, sous l’impulsion du gouvernement de Jean Lesage. Parmi les grands projets réalisés : la nationalisation de l’électricité, le rapport Parent et la création d’un réseau d’éducation moderne, qui a donné naissance, notamment, aux cégeps, et la constitution de la Caisse de dépôts et de placements du Québec. Dans l’Est du Québec, on peut citer la création du réseau de l’Université du Québec ou le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), qui a mené à la fermeture de plusieurs villages dans le haut pays et donné naissance aux Opérations Dignité. Parallèlement à la construction d’un État moderne, on assiste à la montée du nationalisme politique, qui a culminé par la fondation du Parti québécois, en 1968. Ces deux mouvements parallèles vont définir le Québec des décennies suivantes.

C’est dans ce contexte bouillonnant, au niveau provincial, qu’un groupuscule politique, le FLQ, a commencé à faire parler de lui, dès 1963, en posant des bombes sur des symboles du colonialisme britannique, comme des boîtes aux lettres victoriennes. L’action politique du FLQ se veut d’abord et avant tout révolutionnaire et s’inscrit en droite ligne avec des organisations semblables un peu partout dans le monde. Le nom rappelle d’ailleurs le Front de libération national (FLN) de l’Algérie, qui a mené à l’indépendance du pays en 1962, après une violente guerre « décoloniale », et dont le régime a accueilli des felquistes en exil. À l’international, la décolonisation se poursuit, inspirée par la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de l’ONU (1960), qui va légitimer les différents mouvements, en Afrique principalement (Algérie, Mozambique, Angola, etc.). La révolution cubaine de 1959, qui va porter Fidel Castro au pouvoir et instaurer un régime socialiste qui tiendra tête à son puissant voisin, sert de modèle. Ce n’est pas pour rien que plusieurs membres du FLQ vont s’exiler là-bas.

Un contexte international agité

La situation aux États-Unis demeure aussi très explosive, avec la déségrégation du Sud et la lutte pour les droits civiques des Afro-Américain.es, le tout dans un contexte politique ponctué d’assassinats politiques (les frères Kennedy, Martin Luther King, Malcolm X, etc.). La situation au Vietnam nouvellement indépendant se détériore et entraînera les grandes puissances (États-Unis et URSS) dans un conflit qui va marquer la décennie et entraîner d’importants mouvements antiguerre dans le pays.

C’est d’ailleurs en 1967, en prison à New York avec son comparse Charles Gagnon, après une manifestation devant le siège des Nations unies, que Pierre Vallières va écrire « Nègres blancs d’Amérique », en compagnie de membres des Black Panthers avec lesquels il se lie d’amitié. Les liens entre le FLQ et les Black Panthers furent très cordiaux, les organisations se voyant comme des alliées dans une cause commune d’émancipation. Un complot pour fournir de la dynamite aux Black Panthers, qui voulaient détruire la Statue de la Liberté, a été déjoué in extremis.2 Cet ouvrage, qui a plus fait parler de lui pour son titre que son contenu cette année, demeure l’un des meilleurs témoignages de la réalité québécoise des années 1960, publié à plus de 100 000 exemplaires et traduit dans plusieurs langues. Au-delà de sa valeur historique, l’ouvrage contient aussi un des projets politiques les plus radicaux de l’histoire du Québec, qui vise à émanciper, par la révolution, la société québécoise du joug de l’impérialisme britannique et du capitalisme anglo-saxon. C’est le livre de Vallières qui va fournir l’assise idéologique du FLQ.

Le vent de la révolution ne souffle pas qu’au Québec. La contestation étudiante de mai 1968 en France, appuyée par des mouvements de grève générale, va marquer toute une génération. En Allemagne, la bande à Baader, anti-capitaliste, va sévir pendant quelques années, au tournant des années 1970 et en Italie, les Brigades rouges vont faire régner la terreur durant presque vingt ans, allant jusqu’à enlever et assassiner l’ex premier ministre Aldo Moro, en 1978. En Chine, la jeunesse fanatisée va déferler sur tout le pays pour le transformer, sous l’impulsion de Mao, pendant la Révolution culturelle (1968-76).

La Crise d’Octobre a clos, de manière tragique, cette période mouvementée de l’histoire politique québécoise : un homme est mort et des centaines de personnes ont vu leurs droits fondamentaux bafoués. Le gouvernement fédéral pensait avoir porté un coup fatal au mouvement indépendantiste québécois, mais le peuple québécois, dégoûté par la violence, a choisi d’autres moyens pour porter ses aspirations politiques et l’élection du Parti québécois en novembre 1976 ouvre un nouveau chapitre. 50 ans plus tard, les choses ont bien changé : la violence comme moteur d’action politique a beaucoup diminué au Québec et la suspension des droits et libertés en temps de paix est maintenant impensable depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982. En cela, il est possible de tirer quelque chose de positif de la crise, à long terme, même si le Québec a bien changé depuis un demi-siècle.


1 Parmi tout ce qui a été publié, il faut noter le film Les Rose et aussi le reportage d’Enquête, à Radio-Canada, FLQ : la filiale internationale, diffusé le 1er octobre dernier.

2 Jean-François NADEAU, « La vie du FLQ à travers la mort de Mario Bachand », Le Devoir (25 septembre 2020), https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/586611/documentaire-la-vie-du-flq-a-travers-la-mort-de-mario-bachand (page consultée le 14 octobre 2020).

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